jeudi 9 décembre 2010

Rêve d'automne - Fosse - Chéreau

Photo Pascal Victor/ArtComArt

texte Jon Fosse, mise en scène Patrice Chéreau
avec Pascal Greggory, Valéria Bruni-Tedeschi, Bulle Ogier, Bernard Verley, Marie Bunel, Michelle Marquais et Alexandre Styker
du 4 décembre au 25 janvier 2011 au théâtre de la Ville, châtelet.

Les nombres pairs rentrent par une porte de musée, trois salles du Louvre sont reconstituées sur le plateau du théâtre de la Ville, et les spectateurs prennent part au décor tels des passants regardant des tableaux dans un musée. Pour une fois ce sont eux les comédiens présents avant que le spectacle commence. Et puis lorsque tout le monde est installé, une vieille femme déambule pieds nus, un bouquet à la main, hagarde, semblant perdue. Et puis un jeu de cache cache commence entre Pascal Greggory, en voyageur fatigué et Valéria Bruni-Tedeschi en jeune femme blonde accrochée à son sac à main. Mais ces deux là se connaissent bien. Lorsque la parole se prend, on entre dans le texte de Jon Fosse, épuré, précis, répétitif. La répétition du texte, du mot font écho aux répétitions de la vie.

L'étrangeté des scènes qui se suivent et qui semblent avaler les années entre elles, se relaient avec des instants de vies, joués, ou rejoués, oubliés ou revécus. Le temps se tord et se distend, même les personnages parfois ne semblent plus savoir s'ils se souviennent, ou s'ils ont peur et imaginent ce qui pourrait se passer. Tous se retrouvent là, dans un cimetière, à l'origine du texte de Fosse, devenu musée pour Chéreau. Etrange parallèle qui n'a pas semblé vexer le Louvre... Un homme, une femme, les parents de cet homme, l'ex femme de cet homme... Mais la comparaison peut exister, entre les vivants qui observent les morts et les morts qui semblent encore présents et nous regarder aussi. Mais qui est vivant et qui est mort ? Chéreau a d'ailleurs rajouté deux personnages, la grand-mère et le fils de l'homme, qui ne sont pas dans le texte, et qui sont présents, comme des âmes errantes, au fil des scènes.

Tout le monde se court après, tout le monde tente de se faire entendre de l'autre, de faire entendre son amour, son désir, ses peurs... Comme si dans l'écoute il y aurait un espoir d'être sauvé. Comme si les morts rôdaient, appelant notre mort, comme s'il fallait être attentifs les uns aux autres pour continuer à vivre. Chéreau orchestre un ballet de mouvements, d'entrées et de sorties des comédiens, d'errances, des vivants et des morts, pour que tous prennent part à la danse des âmes. La tension de l'écriture de Fosse est bien là, l'anormalité des gens normaux, les liens qui se tissent malgré tout, et ceux qui se délitent, même dans l'amour. "L'amour et la mort, c'est pareil" dira l'homme à bout de souffle, à bout d'envie, à bout de vie. "Plus on parle de sexe, plus on parle de Dieu, et plus ce dont on parle disparaît et il ne reste plus que les mots."

Ce sont les femmes qui viendront à bout de tout le monde dans cette pièce au souffle retenu et aux tentatives échouées d'échappatoire. La mise en scène très cinématographique de Chéreau, me fait penser qu'il a peut être perdu de son incisivité au théâtre. La musique (encore Anthony & the Jonhson qu'on retrouve partout...) ou les bruits sourds qui accompagnent les situations sont très en soulignement de ce qui se passe et ce n'était pas nécessaire. On sent la maîtrise absolue de ce metteur en scène remarquable qui aligne les chefs d'oeuvres depuis 40 ans. La direction d'acteurs totalement parfaite, le rythme impeccable, tout est carré, mais sans prise de risque, une mise en scène de quelqu'un qui maîtrise tellement son art, qu'on a le sentiment qu'il ne va plus au théâtre voir ce qui se fait aujourd'hui. Cette ronde monotone de vie et coupante dans les peurs, dans les rejets des uns et des autres, dans l'angoisse de la fuite désespérée de l'être aimé, si chère à Jon Fosse, reste malgré tout assez collée au plancher et poussiéreuse, comme un musée peut-être ?

mercredi 8 décembre 2010

Baal - Brecht - Orsoni

de Berthold Brecht mise en scène par François Orsoni
avec Mathieu Genet, Alban Guyon, Clothilde Hesme, Tomas Heuer, Thomas Landbo, Estelle Meyer et Jeanne Tremsal
au théâtre de la Bastille du 30 novembre au 22 décembre 2010

Des comédiens sur le plateau quand le public entre, une grande table et des sièges, des fauteuils, un pain de glace qui fond et des portants pour les costumes des comédiens... Un avant goût de ce que nous allons voir, du théâtre "cuisine", c'est à dire dont on voit toute la fabrication et qui se veut contemporain, avec un certain sentiment de bricolage.

C'est un peu du grand virevoltage qui surprendrait peut-être Brecht, on est absolument pas dans la distanciation, mais malgré tout il y a de savoureux éléments dans ce Baal original. Tout d'abord et surtout la comédienne Clothilde Hesme qui endosse le rôle masculin avec merveille, tout en provocation et en tour de force, elle est juste tout du long, entraînante et convaincante, même si ce n'est pas un parti pris de mise en scène, mais de distribution, cela fonctionne parfaitement. Du coup le personnage principal en devient moins misogyne, et les rapports de séduction qu'il entretien avec les femmes et ses amis sont délicieusement ambigus. Ensuite toute la métaphore de l'eau, représentée en pain de glace sur la table qui fond pendant toute la représentation, créant une petite rivière, mais aussi par toutes ces bouteilles bues, remplies d'eau au lieu d'alcool, le pain qui est régulièrement frappé violemment par Baal avec un club de golf (brisons la glace...), ou encore cette eau qu'on crache, qu'on se renverse sur la tête... cette eau qui ressemble à tout ce dans quoi on se noie.

Ecrite aux lendemains de la première guerre mondiale, cette pièce a un goût d'absolu et de défoulement, une envie dévastatrice de profiter de la vie sans artifices superficiels, et d'aller jusqu'au bout de tout, même si c'est pour faire preuve d'ultime égoïsme et de détruire ceux qui nous entourent au passage, ainsi que nous-mêmes. Baal, sans doute un peu Brecht lui-même, auteur et poète qui mêle son art à sa vie. Baal le poète maudit, qui tente de se faire comprendre mais qui finalement se heurte à l'étrangeté de l'autre. Baal tenaillé par son désir incessant des femmes, et son incapacité à tenir en place, son rêve de liberté totale, le reflet d'un Brecht tout jeune qui écrit sa première pièce.

François Orsoni qui dit craindre l'ennui au théâtre, parsème sa mise en scène de bouffonneries qui fonctionnent parfois très bien (la scène du champagne est délirante) parfois beaucoup moins bien (les passages rock'n roll sont assez embarrassants). Ce qui pourrait tendre à en faire un théâtre distrayant alors que ce n'est pas tout ce qu'on peut trouver chez Brecht. C'est à dire que l'on picore chez l'auteur des éléments, mais pas tout, et le reste on le crée à sa sauce, on ajoute au texte quelques impros contemporaines (venir en vélib..., je vous présente un disciple de Charly Oleg...). Avec le risque que cela prenne ou pas dans cette volonté de rendu contemporain à tout prix. Et surtout que certains éléments manquent, par exemple la pièce est trop pudique et légère à mon sens, par rapport à la sexualité et les tensions morbides qu'elle contient. Les comédiens sont assez inégaux dans ce Baal et l'on en ressort mitigé, entre la sensation d'avoir vu une jolie performance et un travail inabouti, peut-être parce que la pièce en elle-même est restée inachevée dans les tiroirs de son auteur.

vendredi 19 novembre 2010

Big Bang - Quesne

Mise en scène Philippe Quesne / Vivarium Studio
avec Isabelle Angotti, Rodolphe Auté, Yvan Clédat, Cyril Gomez-Mathieu, Jung-Ae Kim, Emilien Tessier, César Vayssié et Gaëtan Vourc'h
A Beaubourg du 3 au 7 novembre 2010

Dans un gigantesque cube blanc qui sert de plateau, une comédienne entre et s'assoit à une table. Dessus pêle mêle des livres, les lettres BANG, et autres... Elle feuillette un livre et chantonne... Voilà... Nous sommes une salle pleine de spectateurs suspendus à ses gestes, anodins, les bruits de pages qu'elle tourne. Tiens, nous respirons, nous prenons un peu de temps, nous attendons aussi, qu'il se passe "autre chose". Déjà des questions se bousculent et déjà je me sens happée par la situation. Puis elle repart en coulisse, demande aux autres s'ils sont prêts ? D'autres comédiens entrent, ajustent leur micro, regardent les livres... On se sent back stage, on a presque envie de leur dire "eh mais coucou ! nous sommes là !"... Et puis pourquoi d'abord ? Pourquoi ne pas se laisser emporter ? Pourquoi être pressé que quelque chose se produise ? Pourquoi toujours l'ivresse et l'accélération des choses qui nous empêchent d'en profiter ? Ca y est encore des questions...! Et puis ils repartent, derrière la bâche blanche.

A droite sur l'immense plateau blanc, il y a comme une montagne de plastique qui soudain se met à bouger. Un bout de banquise se détache et progresse... Une boule de poils brun apparaît à gauche du plateau et puis une autre et puis une autre... Plein de boules de poils blanches et brunes éparpillées... et puis une voix interroge "tout le monde est là ?"... Ca y est nous sommes dans l'univers absurde et poétique de Philippe Quesne. Une boule va donner des instructions et les autres les suivre et puis ça sera une autre boule qui aura une idée et qui la proposera et ainsi de suite. Comme lorsqu'on était enfant et que l'on jouait à "on dirait que".

Vont se succéder pendant une heure des jeux d'enfants, d'adultes, d'anges qui sait, créateurs du monde ? Chacun à tour de rôle a une idée et la propose aux autres qui l'accueille avec bienveillance. Tout est aussi absurde que l'imaginaire de chacun mais après tout notre monde n'est il pas aussi absurde ? Ne faisons nous pas du matin au soir que des choses qui n'ont pas vraiment de sens ? Un homme des cavernes créée un feu de bois avec une lampe et des branches, mélange de passé et de futur, une voiture cabossée en fond de plateau, sommes nous à la genèse du monde ou dans un temps post moderne à la mad max ? Tous nos repères sont bousculés et pourtant nous ne sommes pas perdus. Les humains parlent aux humains et chaque tableau est aussi insolite que drôle.

Ce qui émane de tous ces jeux en dehors des multiples questions et autres échos à nos sens et réflexions, c'est la gentillesse et la douceur des échanges. Chaque nouvelle idée de "jeu" est suivie par tous sans surprise et avec entrain. Tout le monde s'y met, une communauté de hippies peut être, ou le jugement de l'autre serait aboli. On dirait qu'il ne reste que les bons côtés de l'homme. Alors est-ce avant (la genèse, le Big Bang...) ou est-ce après (un monde post nucléaire...) mais toujours est il que nos sensations sont bercées de bien être à les regarder s'amuser ainsi en toute curiosité de l'autre.

La scène finale la bâche retirée laisse lieu à une grande mare d'eau sur laquelle seront empilés des dizaines de bateaux, les personnages en combinaisons de martiens... Sont ils prêts à venir nous envahir ? Sont ils nos ancêtres mais alors, qu'est ce qui a merdé ensuite ? Pourquoi la haine et le rejet sont arrivés ensuite ? Ou bien sont ils l'avenir ? Je préfère cette seconde option et suis sortie de ce merveilleux Big Bang des images de douceur et de rêve plein la tête.

Il fallait un Philippe Quesne dans le paysage du spectacle vivant, un marionnettiste d'humain, un peintre du vivant, un plasticien de comédiens, qui privilégie l'image au verbe, sorte de langage international compréhensible par tous, comme le geste d'amour n'est ce pas ?
A suivre...
photo Christophe Raynaud de Lage

dimanche 14 novembre 2010

Bérénice - Racine - Gwenaël Morin


De Racine mise en scène par Gwenaël Morin
avec Julian Eggerickx, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon et Ulysse Pujo
au théâtre de la Bastille jusqu'au 27 novembre 2010

Décidément Gwenaël Morin se situe dans le didactisme et l'enseignement. Son théâtre cherche à réconcilier tout le monde, le texte classique avec ceux qui l'ont aimé puis mis de côté ou encore, ceux qui ne l'ont pas aimé ou enfin ceux qui détestent le théâtre à cause du texte classique (ou qui le détesteront bientôt je pense aux scolaires). On sent dès le début, l'accueil du metteur en scène fait aux spectateurs, une envie de séduire pour ne pas de dire de se mettre les spectateurs dans la poche. Le décor est encore fait de bric et de broc, ambiance "le théâtre c'est facilement mis en place...", et une grande bâche résume par un fléchage grossier, les sentiments et directions des personnages.


Cela continue par une gestuelle très explicative, si Gwenaël Morin était sur le net, ses pièces comporteraient des pop up pour apporter des précisions en cours de jeu, ou des petites bulles pour que l'on soit bien sur de comprendre les intentions. Cette prise en charge totale du spectateur l'empêche un peu de penser en rond à mon sens, mais ne sommes nous pas à l'école ? Ah non ? Pardon... j'oubliais. Cela fait penser aussi au théâtre du Moyen Age ou les bouffons faisaient des apartés au public pour lui expliquer les scènes... Sinon la lumière reste allumée tout le temps, on se croirait en répétition ambiance "le théâtre est proche de nous..." et malgré toute cette scolarité, le texte (qui nous parvient parfaitement et heureusement parce que tout s'y emploie) est remanié par le metteur en scène, modernisé (liaisons, vers coupés, texte coupé...). Donc on cherche à s'approprier tout cela, les comédiens (excellents) sont très dans la psychologie mais à dessein, en adresse publique parfois, pour que Racine soit enfin compris et apprécié ? Sans doute, tous ces efforts y font penser en tous cas.

A un moment il y a une petite rupture un peu délirante en chanson, et là je me suis posé la question de savoir si on essayait pas de m'acheter ma sympathie ?
Et du coup, me suis aussi demandé si nous n'étions pas dans l'extrême de l'ironie. Le texte est central, et l'envie de faire aimer Racine ne nous quitte pas, mais ces larmes et ses courses effrénées rompues par des chansons décalées et une cymbale retentissant à chaque fois que Hélàs est prononcé (tout le temps...) servent elles le texte ou bien s'en moquent-elles finalement ?

Quelques questions restent posées mais ce qui est certain c'est que malgré toutes ces interrogations et cette volonté énorme d'apprivoiser le théâtre classique, nous passons un très bon moment, nous entendons le texte, nous recevons l'émotion, nous rions, nous sommes émus. Les comédiens sont en plus vraiment très bons et totalement investis. Alors un peu comme un spectacle dont nous serions aussi en coulisses, je conseille quand même cette tentative réussie de dépoussiérer Racine et de lui rendre son aspect populaire qui lui a si souvent manqué.

lundi 8 novembre 2010

C'est comme ça et me faites pas chier - Garcia

photo Christian Berthelot

texte et mise en scène Rodrigo Garcia
traduction française Christilla Vasserot
musique Daniel Romero Calderon
avec Melchior Derouet, Nuria Lloansi et Daniel Romero Calderon
du 5 au 14 novembre au théâtre de Gennevilliers

Le public entoure la scène, disposé en U tout autour et au fond, un écran géant est installé. Sur le plateau des dizaines de cymbales et percussions sont réparties un peu partout, une moquette de gazon dans un coin, un fauteuil appuyé sur une montagne de livres... On reconnaît l'espace parsemé d'objets de Rodrigo Garcia. Un jeune homme d'une blondeur platine embrasse presque en souffle une jeune femme, assis sur un fauteuil posé sur les livres. Puis il commence un monologue intérieur, qui pourrait être des pages d'un journal intime ou des réflexions personnelles sur ce qui l'inspire ou au contraire le dés-inspire. Désabusé légèrement cynique, on n'est pas dépaysé du style Garcia, et son regard acerbe sur notre monde d'aujourd'hui.

"faire confiance aux mots et jamais à ce qui s'agite autour..."

Des déambulations imaginaires sur la littérature, tout en étant assis sur des livres, dans un premier temps et notre personnage blond angélique semble être un avatar de l'auteur... et puis l'on comprend que le narrateur est aveugle. Quel regard porte un aveugle sur le monde ? Un regard noir...

"Explique moi pourquoi tu te sens heureux ? Sans la question sur le bonheur, le bonheur n'est rien..."

Au fil de ses réflexions qui font parfois écho à nos propres moments sombres, on se laisse bercer et l'on suit les jeux étranges de la jeune femme, comme écho à son tour de ses pensées. Elle marche avec des cymbales aux pieds, joue avec des petits jouets automatiques, mange le t-shirt du jeune homme, ou encore se transforme en chenille en enfilant un sac de couchage recouvert de grelots.

"Froid c'est mieux que chaud, plaisir c'est mieux que vérité... " s'égraine une liste de "mieux" comme celles que l'on faisait enfant, entre rêverie de perfection et envie de devenir. Ce Petit Prince qui aurait grandi et serait devenu non voyant, se lève et circule hésitant dans le décor comme nous finalement dans la vie, dans un monde dont nous n'avons qu'une partie des codes.

La jeune femme filme parfois ses jeux qui sont projetés sur le grand écran, parabole de ce monde tout en décalé avec le réel, sans cesse soumis à l'image. Et puis elle se défoule tant bien que mal en se jetant sur les livres, comme s'ils ne servaient à rien au final, ou en tapant sur les cymbales, écho aux bruits du monde.

"Pour connaître de combien de sens avons nous besoin ?"

Et si on voyait aussi bien quand on ne voit pas ? Le texte est d'une grande richesse et l'on ne peut tout saisir, notre attention détournée sans cesse par le musicien ou la jeune femme, des morceaux d'idées et de paroles nous viennent et nous recomposons cet étrange tableau avec nos sensations et nos images. Et elles sont multiples les images à tiroirs chez Garcia, comme la dernière avec la jeune femme allongée au bord de la mer, une plage de sable et une eau de détergent, récréées sur le plateau. Tout est donc construit de toutes pièces dans cet univers que nous ne percevons que par bribes ? Et le grand blond hésitant se rappelle d'un temps où il voyait et où il s'était perdu dans une fresque de Masaccio représentant l'Eden, et comme avec ses yeux d'enfant pour lui le Paradis c'était le désert. Retour au Petit Prince ?

Il faudrait voir et revoir cet étrange objet de Garcia, qui a un titre bien plus agressif que son contenu pour une fois, sans être assuré pourtant d'en saisir tous les mystères, les allusions et les chemins quasi philosophiques empruntés par ces personnages dont l'âme d'enfant aurait grandi trop vite.

"Rêver c'est mieux"...

mercredi 3 novembre 2010

TG Stan - Le Tangible


Assemblage de textes, mixage musique live par Frank Vercruyssen
(textes de Etel Adnan, Mourid Barghouti, John Berger, Mahmoud Darwish et Samih al-Qasim)
mise en scène collective
avec Eve Chems de Brouwer, Mokhallad Rasem, Boutaina Elfekkak, Liz Kinoshita et Federica Porello
et la participation de Tale Dolven et Eid Aziz
au théâtre de la Bastille jusqu'au 14 novembre

C'était mon premier spectacle du TG Stan dont j'ai toujours entendu énormément de bien. Des conceptions collectives, un souci de la mixité, du mélange des genres, un énorme travail en amont et beaucoup de participants. Tout ceci donnait envie grandement.
On retrouve tous ces éléments alléchants dans cette dernière production, mais un singulier sentiment d'inachevé et de confusion en ressort.
Trois danseuses alterneront leurs expressions corporelles avec la récitation de lettres échangées par un couple : un homme et une femme arabes sé
parés par la prison. La femme s'exprime le plus souvent en français et l'homme en arabe, les surtitres traduisent les deux langues sur un écran géant en fond de plateau, qui diffusent aussi des photos (magnifiques) de villes dévastées par la guerre.
La beauté des langues mélangées et les lettres qui sont touchantes, interprétées par des comédiens naturels comme je les aime, et vraiment investis, ne me suffisent pas et rapidement je me sens déroutée par les interprétations chorégraphiques des danseuses que je n'arrive pas à relier au reste.
Au final je me sens partagée par de beaux moments et un sentiment qu'il y a beaucoup de recherches pour arriver à cette présentation (le livret donné à l'entrée est impressionnant) et l'impression de ne pas avoir reçu tout ce qui a voulu être partagé. Peut être le résultat de trop d'éléments mis ensemble et ne faisant pas forcément lien, ou une proposition si riche qu'elle en devient obscure ? C'est un peu dommage car cela m'a tenue à distance alors que l'idée était très belle et que les sujets de la guerre et du moyen orient, doivent à mon sens être d'avantage traités au théâtre comme ailleurs.

Photo Lore Baeten

lundi 25 octobre 2010

Tartuffe - Molière - Morin

D'après Tartuffe de Molière mis en scène par Gwenaël Morin
avec Renaud Béchet, Julian Eggerickx, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Gwenaël Morin et Ulysse Pujo
au théâtre de la Bastille jusqu'au 31 octobre

Nous sommes accueillis par Gwenaël Morin lui-même et les comédiens qui déambulent sur le plateau, entre théâtre contemporain et ambiance spectacle d'école. Sans doute des réminiscences de l'aspect familial et accessible des labo d'Aubervilliers, où l'expérience du théâtre permanent tenta de dépoussiérer et de démocratiser le spectacle vivant et classique, aussi. Des affiches de peintures en noir et blanc photocopiées, du scotch vert fluo, le texte collé sur le mur et un panneau en carton, tout semble de bric et de broc, on se croirait dans une classe au lycée.
Et puis Molière aussi rappelle l'école, et dans un coin de ma tête, l'envie de faire aimer cet auteur aux lycéens, pour leur faire aimer ensuite le théâtre. Peut-être est-ce le pari de Gwenaël Morin et son équipe, pari réussi à mon sens.
Les trois coups à l'ancienne, on est là pour du vrai théâtre, tous les éléments sont réunis, mais je sens comme un défi d'avance, dans l'excitation des comédiens. Et c'est parti au pas de course, l'énergie toujours aussi présente, comme un personnage à part entière dans cette troupe, comme si le temps était compté, comme si la vie était trop grande, comme si le théâtre bouillonnait... Dès les premières minutes on s'adapte, on comprend que Marianne et Dorine sont jouées par des hommes, et le texte s'entend d'autant mieux. Les artifices disparaissent au profit du sens. Les mots claques, les gestes sont efficaces et chorégraphiés, les postures posées, les temps suspendus mesurés. La mission est de faire rejaillir l'essence du texte dans sa pureté. Dès les premières minutes on est saisi aussi par la force sensuelle qui se dégage de la mise en scène. Jamais Molière ne m'a paru aussi sexué. L'admiration démesurée de Orgon pour Tartuffe en devient érotique, et l'amour de Tartuffe pour Elmire est tout empreint de malsaine ambiguïté. C'est la finesse des comédiens et les idées de mise en scène associées à ce jeu de clair obscur qui se fait au grès des bougies, allumées, trimballées de personnage en personnage, qui le permettent. On retrouve aussi les "sous-titres" dans les objets que manipulent les acteurs de Morin, la lumière pour la connaissance, le voile pour l'ignorance etc.
On apprécie le travail des corps, le langage des poses dans la puissance et la retenue, dans le don et la créativité. Et Gwenaël Morin reste toujours sur le plateau, comme un oeil aiguisé et présent, une désacralisation du metteur en scène et un lien avec le spectateur.
Voilà donc une jolie leçon de Molière moderne et dépoussiéré, tout en restant fidèle au texte et à son sens. Une mise en scène turbulente et sensuelle, efficace, et convaincante, que l'on devrait présenter aux détracteurs du théâtre comme aux jeunes fragilement peu convaincus.

Cela donne envie d'aller voir ensuite Bérénice de Racine, du 2 au 21 novembre...

vendredi 22 octobre 2010

Colloque Kitsch


Crédit photo: Samuel Zarka

Ce week-end au théâtre de Gennevilliers et à l'Inha
Tout le programme dans la rubrique "en ce moment"

vendredi 15 octobre 2010

La loi du marcheur - Didry - Bouchaud - Daney

D'après les entretiens de Serge Daney mis en scène par Eric Didry
avec Nicolas Bouchaud
au théâtre du Rond Point jusqu'au 17 octobre
reprise en décembre au 104

Nicolas Bouchaud fume des cigarettes derrière un écran blanc et surveille du coin de l'oeil notre entrée. Légèrement ébouriffé, et sur le qui vive, comme essayant de capturer une idées parmi toutes celles qui lui passeraient par la tête, il s'avance enfin vers nous. Il est Serge Daney, critique génial de cinéma, passionnant et révolté, disparu trop tôt en 1992. Cela commence par l'enfance, qu'est ce qui mène un enfant ébloui par le cinéma à en être habité pour toujours ? Quelles icônes, et pourquoi ? Et pour appartenir à quelle société ?

"Le cinéma c'est une promesse d'être un jour citoyen du monde..."

Entre souvenirs cocasses et vraies réflexions, Daney-Bouchaud nous amènent à réfléchir sur la part d'investissement de soi dans notre regard sur le cinéma. Les années 50 un peu ringardes en France, puis la nouvelle vague "le cinéma est un art réaliste sinon rien", autant d'évolutions artistiques, reflets de notre société. Visionnaire, et profondément inquiet quant à l'avenir de la création, ces entretiens semblent toujours autant d'actualité 20 ans après.

Parmi ses souvenirs de critique, et ses remarques pertinentes, sont projetés sur l'écran blanc, des extraits de "Rio Bravo" de Howard Hawks, que le comédien regarde, pastiche, suit, illustre, tel un enfant émerveillé... Métaphore de la magie du grand écran et de sa propension à avaler l'être dans son entier, tout en étant un écho de nos fantasmes.

photo Brigitte Enguérand

Eric Didry a travaillé entre autres avec Claude Régy. Nicolas Bouchaud est le comédien qui a représenté tous les intermittents aux derniers Molières, dans le rôle de l'agitateur... Nous sommes en famille n'est-ce pas, de ceux qui tirent les signaux d'alarmes et qui tentent avec leurs armes de révéler ou de nous rappeler les dérives inquiétantes de notre temps. Serge Daney évoquait déjà en 1992 son scepticisme quant à la "télé réalité" et de nous présenter une très belle comparaison avec le cinéma qui "montre" et la télé qui "programme" ce qui fait que les gens ne voient rien. "Chaque jour les images perdent de leurs forces"... comment ne pas être interpellé par une parole si visionnaire ? De notre monde noyé d'images et d'informations, qui ne sort plus l'essentiel mais le fait disparaître. Ces entretiens admirablement bien joués par un Nicolas Bouchaud inspiré et inspirant, une mise en scène sobre, essentielle et ludique, qui n'hésite pas à nous bousculer et à impliquer le spectateur, sont un vrai moment de révélation sur la qualité de la pensée d'un passionné, mais nous rappellent aussi comment l'art peut-être à la fois politique et révélateur social.

"Si le théâtre avait la force qu'il avait eu (...) on y viendrait tous les jours se purger. Mais aujourd'hui ça a du mal à exister car les médias tuent, dévitalisent..." petite remarque au passage qui ne cesse d'être vraie. On ne peut s'empêcher de déplorer que Serge Daney soit parti si tôt, emporté par le sida quelques mois après ces entretiens filmés, encore une voix essentielle qui nous manquera, merci à l'équipe d'Eric Didry de nous faire revivre ce moment de pensées indispensables drôles et instructives, qu'il faut aller voir au 104 en reprise à partir du 11 décembre 2010.

jeudi 7 octobre 2010

Les Chiens de Navarre - Une raclette

des Chiens de Navarre mise en scène par Jean Christophe Meurisse
avec Caroline Binder, Antoine Blesson, Céline Fuhrer, Robert Hatisi, Manu Laskar, Thomas Scimeca, Anne-Elodie Sorlin, Maxence Tual et Jean-Luc Vincent
au théâtre de Vanves du 6 au 9 octobre 2010

C'est un petit exercice bien difficile que de parler de se spectacle sans en dévoiler les surprises, multiples et incessantes qui le jalonnent. Nous sommes invités à assister à une raclette entre amis, ou bien est-ce une représentation théâtrale, les codes sont d'entrée de jeu, brouillés.
Le collectif des Chiens de Navarre dont j'ai fait un portrait ICI, est à mon sens une des équipes les plus novatrices et d'avant garde du théâtre contemporain. Ils nous accueillent en comédiens, toujours autour de leur table, fil conducteur de beaucoup de leurs performances, et interpellent le public directement. C'est une introduction déjà engagée, comme pour nous prévenir que nous allons assister ici à un ovni théâtral.
Puis la "raclette" commence. Ou plutôt la tambouille, au sens noble du terme, un mélange extraordinaire de tous les spectacles, de tous les théâtres, de tous les points de vues. Quelques voisins réunis pour une crémaillère et c'est le prétexte à toutes les boîtes de Pandore. Nous sommes sur nos gardes, curieux de ce dîner commun nous en rappelant mille autres, avec ses petites conventions de politesse et ses légers dérapages, parfois ridicules, grinçants ou encore d'une affligeante banalité. Et sous nos yeux éberlués, la scène va partir en sucette... Ici il convient de conserver les artifices utilisés, pour ne pas en déflorer l'humour, la folie, les astuces. Sommes nous encore au théâtre ? Oui pour sûr, le texte est là, le jeu naturel et précis des comédiens nous saisit. Mais nous sommes aussi au cirque (bravo le magicien Thomas Scimeca, quel talent !), au théâtre classique, ou encore à une soirée déguisée, ou devant des performances... tout le spectacle vivant réuni, avec ses réussites, ses doutes et ses dérapages, du moment le plus sage à celui le plus extrême, toutes les prises de risque, des scènes désopilantes, mais aussi dramatiques ou dangereuses. Je n'ai jamais vu, à part chez Marthaler cet été à Avignon, autant de tiroirs, de significations en cascades et de codes bouleversés, pour être mieux soulignés.
C'est une satire du théâtre, pour mieux l'honorer, c'est un regard aiguisé sur notre société, avec autant de violence que de désir ou d'amour, c'est autant de pavés dans des mares inertes, une volonté de ruer dans les brancards, de souligner les fantasmes, d'exploser les limites.
Il ne faut pas rater ce spectacle qui ne peut laisser indifférent, même s'il doit parfois perdre un peu, pour la qualité des comédiens, la richesse des idées et l'originalité de la présentation, un souhait indéniable d'essayer de rénover les choses. Jusqu'à la dernière minute où le fantasme ultime de certain est d'inclure le spectateur, invité dès les premières minutes et encore inclus dans les dernières, jamais oublié. Il est temps de continuer dans la voie d'Artaud, celle qui tend à rendre vivante la tendance mortifère de la représentation cloisonnée. Venez vous laisser déranger par ces Chiens en liberté, rire aux éclats à leurs blagues burlesques ou à leurs imitations parfaites de notre singulière banalité, vous cacher les yeux devant leur nudité que vous ne sauriez voir ou enfin avoir peur d'un théâtre si vivant !

Jusqu'au 9 octobre 2010 au théâtre de Vanves et puis :

- du 19 au 22 octobre 2010 à 20H30 à la Rose des Vents (Scène Nationale de Lille Métropole / Villeneuve-D'Ascq)


- du 11 au 13 janvier 2011 à 20h30 au Théâtre de Vanves - Scène conventionnée pour la danse (92)

- du 17 au 19 mars 2011 à 20h30 au Centre Pompidou (Paris)

-du 23 au 27 mars 2011 aux Bouffes du Nord (Paris)

mercredi 29 septembre 2010

Oh les beaux jours / Beckett / Bob Wilson

de Samuel Beckett mise en scène par Robert Wilson
avec Adriana Asti et Giovanni Battista Storti
au théâtre de l'Athénée du 23 septembre au 9 octobre 2010


Petite pièce étrange comme tous les bijoux Beckettiens, abordant frontalement le thème de l'enfermement, la réduction du mouvement, la réduction des libertés que chacun subit, physiquement, psychiquement, ou autre ?! Métaphore physique, la comédienne est indiquée dans la didascalie comme enterrée jusqu'à mi corps. Bob Wilson présente ici une version "femme-volcan" en érigeant son personnage en haut d'une montagne noire de carton pâte. Entre une vision néo-burlesque et expressionniste allemand, on se croirait dans les années 30, maquillage et roulements d'yeux inclus.

photo Luciano Romano

J'ai personnellement été très gênée par l'accent italien des comédiens qui m'ont rendu le texte quasiment inaudible. "Une lutte perpétuelle pour la compréhension" a commenté ma voisine très justement, même s'il est possible d'y voir ici une volonté de mise en scène. Peut-être entendre le texte est ici secondaire, nous plongeant dans une ambiance encore plus étrange, rappelant presque le cinéma muet.

Il en reste une gestuelle adorable et une énergie extraordinaire qui nous parviennent malgré tout, et une sensation de voyage intense au pays imaginaire de l'absurde, comme toujours avec des clins d'oeil à notre propre monde.

samedi 25 septembre 2010

L'Echange - Yves-Noël Genod


Versailles, fin d'après-midi de septembre 2010
Festival Plastique Danse Flore

avec Dinozord et Papi Ebotany, Frédéric Danos, Marlène Saldana et Thomas Scimeca et une improvisation de Jonathan Capdevielle.

Il est très difficile de raconter les spectacles d'Yves-Noël Genod lorsqu'ils ressemblent à cet après-midi de faunes comme nous pourrions l'appeler, largués en pâture à de pauvres spectateurs perdus mais hilares en plein potager à Versailles. La foule s'amasse devant des grilles et Thomas Scimeca en perruque XVIII et en chemisette transparente (et nu dessous bien entendu) y grimpe et semble chercher quelqu'un "Julien ? vient approche... Françoise ?". Une image qui me parait soudain si réelle qu'elle me projette à l'époque de la décadence de nobles oisifs. Parmi nous Yves-Noël en slip rose distribue ses petits tracts et nous explique un peu débordé qu'il faudrait que l'on se disperse pour voir le spectacle de plusieurs angles différents. Tout a toujours l'air improvisé dans ce qu'il présente, comme si les choses se produisaient par magie et bien malgré lui. Le talent de recréer de l'imprévu dans le prévu, de l'inattendu dans une vie trop lisse peut être ou encore tel une loupe colorée, de faire ressortir le merveilleux de tout instant.

Nous entrons dans ce petit jardin près d'un cours d'eau, tentons de suivre ce qu'il s'y passe. Nous sommes très nombreux et les interventions se mêlent à la foule, à nous de les dénicher, parfois guidés par un Yves-Noël souriant "par ici c'est plus beau... regardez par là..." Thomas Scimeca cherche toujours Françoise et s'empare d'un micro, puis d'une moto, en alternance. Faussement excédé par le monde, se frayant des passages absurdes parmi nous "pardon, excusez moi..." Marlène Saldana pique une petite crise d'hystérie, se met nue et court se jeter dans le ruisseau en criant "je me noie !" et deux noirs couverts de paillettes d'or font leur apparition dans une pirogue, puis se battent, tandis que Jonathan Capdevielle s'est emparé du micro pour chanter "Africa... j'ai besoin de danser, comme toi..." Plus tard ou avant je ne sais plus, de s'être lui-même jeté à l'eau pour sauver Marlène. Se jeter à l'eau, c'est bien ce que font les comédiens d'Yves-Noël Genod, happés par l'immense liberté de création qu'il provoque en chacun.



On ne cherche pas du sens, on se laisse emmener dans un univers. Le titre de l'opération, "l'Echange", nous rappelle Claudel et l'invitation au voyage. La démesure de la vaine recherche, l'impossibilité de se comprendre entre soi en terre étrangère, ou l'inverse. L'absurde déclenche l'hilarité bien souvent chez les spectateurs, rien ne semble entraver la route que les comédiens doivent emprunter et qui suit un fil obscur. Pourtant chacun peut déclencher son imaginaire et se raconter sa propre histoire, ce qui permet aussi dans cette liberté, de créer à son tour. Les enfants nombreux ce jour là participent à la joie et se mêlent parfaitement à l'ambiance, pas du tout choqués par cet immense jeu qui peut être leur rappelle les leurs...

Yves-Noël a ceci d'un enfant, il recrée des aires de jeu gigantesques pour adultes qui osent, afin de susciter l'imaginaire de ceux qui osent moins, distribuant ça et là des éclats de rire et des brins de poésie, mais aussi avec des tiroirs de sens qu'il ne tient qu'à nous d'ouvrir. On rentre la tête dans les étoiles, un peu plus léger d'avoir été ainsi "rechargés"...

lundi 20 septembre 2010

Armide - Lully - Rambert - Plante

De Jean-Baptiste Lully, mise en scène Pascal Rambert, direction musicale Antoine Plante
Chef de Choeur : Didier Louis
avec : Isabelle Cals, Zachary Wilder, Sarah Mesko, Lauren Snouffer, Summer Thompson
et Kalifa Gandega, François Lepée, Morgane Lory, Agathe Mercat, Fabien Oliva, Larbi Oubadia, Farid Roussange, Romane Moufflet
l'Orchestre Mercury Baroque et l'ensemble vocal Lumen de Lumine


Très bel opéra de Jean-Baptiste Lully sur un livret de Philippe Quinault, un rien baroque, peu épique mais romantique à souhait. Pascal Rambert en a livré une version ultra contemporaine, avec le choeur de Houston, Texas, et une ambiance guerre Usa - Irak un tantinet étrange.


On y retrouve la sobriété du metteur en scène, un plateau blanc et des néons blancs, des costumes noirs, blancs, jean, et armée, tables, chaises, ordinateurs... et un gigantesque 4x4 noir.

En frontalité souvent, en voiture un peu, décalés toujours, les personnages semblent tiraillés par leurs émotions dans ce grand univers blanc qui en est dépourvu. On est dans un tel dépouillement que seul l’essentiel subsiste. La guerrière Armide pourchasse le guerrier Renaud, en tombe amoureuse et se le voit ravir par sa rivale indétronable : la gloire et sa conquête dans le coeur de Renaud.


Pour quelqu’un comme moi absolument pas habituée à l’Opéra, cette intense sobriété me permet de plonger dans la musique et de me laisser emporter par les chants.

Pascal Rambert n’hésite pas à glisser de la légèreté et de l’humour et d’un autre côté manie la tragédie avec beaucoup de délicatesse. La pureté de cette mise en scène souligne et rend tout lisible. L’esthétique est vraiment remarquable dans sa modernité, sert l’opéra, et paradoxalement se mêle très bien avec la musique pourtant très connotée de Lully.


Photo Amitava Sarkar



J’ai juste été un peu étonnée de voir les danseurs habillés en GI américains, jouer au golf pendant l’acte 2, au moment ou Renaud est charmé par Armide et s’endort sur le gazon... Il m’a semblé que l’image était décalée par rapport à la mission américaine en Irak.

Le parallèle avec la guerre américo-irakienne est glissant et je pense qu’il ne gagne pas à être anecdotique, c’est le seul bémol que j’aurais sur cette mise en scène.


Je recommande d’aller voir cet étrange objet, particulièrement si on n’est pas un adepte de l’opéra, voici une excellente manière de s’y initier.


mercredi 28 juillet 2010

Avignon - Yves-Noël Genod

« Le Parc intérieur »

Variations sur « Venus et Adonis » de Shakespeare

d'Yves-Noël Genod

Voici un spectacle bien singulier et personnel, qui ressemble tellement à son performeur.

Nous sommes accueillis par du champagne et cela c’est la gentillesse et la générosité d’Yves-Noël Genod, qui ne manque pas de culot non plus, dans la société ou l’argent fait tout et dans un festival au In si cher, il s’offre le luxe de nous inviter. Le b.a. ba du théâtre, la gratuité, et si l’on a aimé, on peut donner à la fin, dans le chapeau. La beauté du geste. Le geste commun, celui de l’artiste et celui du spectateur ravi (ou pas ?). Impossible de ne pas l’être ! Tout le monde a aimé et encensé ce spectacle. La presse en a parlé partout, et tant mieux, Yves-Noël a fait salle comble et c’est une bonne chose. Car il faut tirer son épingle de l’écheveau inouï des 1000 spectacles du OFF d’Avignon… Pari réussi pour cet instant en tête à tête avec ce brillant comédien, metteur en scène qui nous raconte tel un conteur des anciens temps, ou tel un prof passionné par l’œuvre, l’histoire de Venus et Adonis. J’avais déjà chroniqué la version plus courte qu’il en avait fait à Gennevilliers (Ici), et j’ai retrouvé le plaisir d’écouter le texte, rentrer totalement à l’intérieur, et observer les milliers d’images qu’Yves-Noël réussi à faire surgir sous nos yeux. Véritable vie qui se prend dans les mots, du poème écrit, soudain l’oiseau se fait entendre, Adonis est étendu devant nous, le cheval s’échappe… tout est là.



Dans cette Condition des soies, scène circulaire qui fait penser au cylindre de Beckett du Dépeupleur, verre de champagne à la main et éventail dans l’autre, on ri beaucoup aux dizaines de digressions qu’Yves-Noël fait ici ou là au grès de ce que le texte lui rappelle… Un souvenir de Marguerite Duras, un coup de fil avec Régy, des anciens spectacles, des films, des recherches sur internet… Avec son humour ironique et un brin moqueur, mais souvent aussi plein d’enthousiasme pour tout ce qui l’entoure, il nous emmène dans son monde. Et on s’y sent bien… voilà ce que je préfère dans Genod, c’est Genod ! Un voyage dans le regard d’un artiste, c’est un moment rare, et c’est ce qui le rend précieux, lorsque quelqu’un tente de nous changer les yeux. Ici la découverte d’un texte magnifique, du mot à mot parfois et l’ampleur de l’émotion qui s’y cache est débusquée par un fouilleur professionnel, qui sait montrer derrière chaque image, la tragédie d’une Venus, désirant sans retour. Et l’on s’y voit, et le poème résonne en nous, comme autant de souvenirs à notre tour, un joli tour de passe-passe, entre les lignes d’humour, la douleur…

Encore jusqu’au 31 juillet à la Condition des Soies, à 18h.

jeudi 22 juillet 2010

On n'arrête pas le Théâtre - juillet 2010

« Le Roi de la Tour du Grand Horloge »
de William Butler Yeats
Mise en scène Eram Sobhani
avec Vincent Brunol, Miglen Mirtchev, Franco Senica, Stephane Auvray-Nauroy, Olav Benestvedt et Yuta Masuda
Scénographie
Sophie Courtat
Etoile du Nord jusqu'au 25 juillet

William Butler Yeats (1865 – 1939) est un auteur irlandais qui a reçu le prix Nobel de littérature en 1923. Au départ dans la veine des romantiques, il participera au renouveau de la création irlandaise, et ses poèmes et pièces seront d’inspiration pré-raphaélite. Sans doute ce qui donne à ce « Roi de la tour du Grand Horloge » un aspect si médiéval. Le metteur en scène a choisi de conserver cette ambiance, nous sommes accueillis par une scène disposée en carré, l’action se déroulant au centre. Les comédiens sont là, l’un d’entre eux nous offre une rose. Tout le jeu se fera dans une vraie lignée moyenâgeuse, on s’y croirait, à part sans doute les costumes plutôt contemporains. L’histoire mystérieuse d’un roi à la femme muette, qui vient se faire défier par un poète vagabond, ressemble à un conte pour enfant. Le poète demande à voir la reine, dont il dépeint les charmes sans jamais l’avoir vue. Jamais ? vraiment ? pourtant il semblerait que leurs voix s’unissent au delà des mots. Yuta Masuda a admirablement mis en musique les chansons écrites dans la pièce et que Yeats laissa à la création de qui voudrait. Tourbillonnant moment, entre chant, jeu et joute, les mots poésie nous perdent au gré d’une histoire qui ne se dévoilera pas complètement, nous laissant libre de nous la raconter nous-mêmes. Le comédien qui fait la reine est un homme, comme sans doute autrefois les comédiens jouaient les rôles des femmes. De même, la voix de la reine est chantée par Olav Benestvedt, tout cela procure une atmosphère extrêmement étrange, qui devient savoureusement morbide à la fin… Conservons le suspens pour ceux qui iront, cet instant de théâtre très particulier, dépaysant et original, est à voir encore jusqu’à dimanche au théâtre de l’étoile du nord à Paris.

Et aussi :

« Paroles Affolées »
de Sophie Mourousi
avec Mathilde Lecarpentier et Julien Varin
Etoile du Nord LE 25 juillet

C'est un passo-doble dansé par les mots, un duo, un rapport à deux, amoureux, séduisant, ou rapport de force ? C'est un jeu, en est-ce un vraiment ? Deux comédiens nous ravissent au grès de mots chéris ou violents, seuls ou à deux, ou seuls à deux, un homme et une femme, qui en quelques minutes, retracent le parcours des yeux doux ou embués. C'est une création très personnelle et très touchante de Sophie Mourousi, qui nous livre ici des impressions, partagées sans doute, sur la rencontre, l'essai de se parler, de "s'entendre" lorsque l'on séduit, lorsque l'on souhaite aimer. Et comment assumer au fond que nous sommes si différents, et que parfois la parole ne nous parvient pas, ou bien que celle que l'on tente de prononcer, n'atteint pas son but ? Que reste-t-il ? Et s'il ne restait que le corps ? A bout de souffle, à bout de danse...
C'est drôle et tendre, c'est pinçant aussi, c'est à voir à l'Etoile du Nord en clôture du festival "On n'arrête pas le théâtre" le 25 juillet.

vendredi 16 juillet 2010

Avignon - Marthaler

« Papperlapapp »

de Christoph Marthaler et scénographie Anna Viebrock

variations de Christoph Marthaler, Malte Ubenauf, Olivier Cadiot et les acteurs d’après des textes de Herbert Achternbusch, Don Gabriele Amorth, Olivier Cadiot, E. M. Cioran, Dario Fo, Søren Kierkegaard, Professor Madya, Henri Michaux, Julien Torma et Malte Ubenauf.

Musique : Martin Schütz, JS Bach, K. Bette, Antoine Busnoys, F. Chopin, Carlo Gesualdo, J. Haydn, F. Liszt, Joseph Meyer, WA Mozart, GP da Palestrina, Pérotin, E. Satie, G. Verdi et R. Wagner.

avec : Marc Bodnar, Raphael Clamer, Bendix Dethleffsen, Evelyne Didi, Olivia Grigolli, Rosemary Hardy, Ueli Jäggi, Jürg Kienberger, Bernard Landau, Sasha Rau, Martin Schütz, Clemens Sienknecht, Bettina Stucky, Graham F. Valentine et Joeren Willems.

Cour d’honneur du Palais des Papes du 7 au 17 juillet

Cette pièce est véritablement un ovni théâtral et musical, qui a été très moyennement accueilli à Avignon. Créée sur place pour le festival, la scénographie s’est inspirée dans la cour du Palais des Papes. Revêtement de différents types de sols, tombes papales ça et là, petites niches de chaises, entrée d’immeuble ou encore mini crypte sont installées dans le fond de scène. A jardin un bout d’intérieur d’église avec un confessionnal, et derrière une piste d’atterrissage pour hélico. A cour de l’électroménager et un camion de transport de militaires, et au milieu une énorme machine à laver et une glacière coca cola. La plupart des fenêtres de la cour sont « refaites » en PVC blanc et des climatiseurs y pendent (enfin j’espère que c’est un décor… la façade étant classée !).



Voilà dans cet univers de petits bouts, semblant reconstituer plein d’espaces de rencontres, un groupe d’hommes et de femmes vont déambuler, chanter, se courir après, s’embrasser, rire, pleurer, boire, recréer l’univers religieux, ou pas. Une juxtaposition de moments les plus loufoques les uns que les autres, parfois proches de l’univers Monthy Python ou Deschiens, des chants classiques magnifiquement interprétés, des textes reprenant parfois l’histoire de la bible, ou purement accusateur de la vie dissolue des Papes… On est dans l’absurde, le poétique, le lyrique et parfois le burlesque. Parfois la situation est tellement ridicule, qu’on est à la limite de sentir qu’on se moque de nous… Mais n’en est-il pas de même avec le religieux en général ?

Et puis au détour de situations, on se prend à rêver sur la musique magnifiquement interprétée (un piano à queue à l’étage, très belle image entre les ogives gothiques) et chantée par les comédiens (Mozart, Bach, Liszt, Verdi, Wagner…) entre la mélancolie et la solitude, autres revers de la contemplation et beauté des œuvres créées pour Dieu. Et puis les comédiens se promènent d’étages en étages, l’espace est entièrement utilisé, ce que je trouve très intéressant. Les femmes montent jusqu’en haut des remparts et jettent des sandwichs aux hommes restés en bas… C’est de nouveau des images absurdes à interpréter. La religion nous nourrit ? Ou bien est-ce qu’aujourd’hui la nouvelle foi c’est la consommation ?



Ce qui impatiente les spectateurs, je pense c’est la disparité des saynètes qui peuvent lasser car elles sont toujours un peu dans la même veine et ne sont pas vraiment liées entre elles. Par exemple, à un moment ils reviennent en costumes médiévaux, ils sont visiblement saouls et titubent, ils vont dans le camion qui tente de démarrer sans succès, alors ils ressortent et retraversent l’espace dans l’autre sens. Au milieu du plateau, ils s’arrêtent pour chanter… C’est à chacun d’y voir le sens qu’il veut… Et puis le temps s’étire… le metteur en scène prend le temps, les comédiens l’utilisent et de longues minutes se passent sans qu’il ne bougent vraiment. Un hommes assis sur les bancs de l’église parle de ses mensonges, c’est Jesus. Un autre fait un discours à propos d’un caddie autour duquel tous prient, c’est Dieu… Les hommes revêtent des costumes de Papes, s’en amusent, puis les mettent à laver avant de plonger la tête dans le tambour de la machine…

Tout y passe, la sexualité refoulée ou carrément assouvie, la corruption, la décadence, l’intimité, autant de thèmes abordés en clins d’œils et de jeux simples. Autant de textes et d’auteurs mélangés, que de thèmes musicaux différents tissent le fond de cette création unique. Toutes les métaphores de la religion sont représentée et à chacun d’en tirer les ficelles. Jusqu’à la très bonne tirade d’Evelyne Didi, qui s’adresse à tous les Papes réunis en un, et lui dresse la liste de leurs méfaits au cours des siècles…

Malgré l’impatience et les gens qui sortent beaucoup pendant la pièce, j’ai vraiment aimé cette création. Il n’est pas courant finalement de mélanger autant d’ingrédients disparates avec cette dextérité, et d’utiliser cet espace avec autant d’ingéniosité et de finesse, tout en critiquant joyeusement la religion ou toute forme d’aveuglement. Quant à la lenteur, elle prend son sens dans une forme réflective de contemplation et permet aussi de mieux apprécier les enchaînements, de ne plus être que dans une forme de comique immédiat, mais permet de mesurer la gravité qu’il y a derrière le propos. Vrai pied de nez malgré tout, dans cette cour d’honneur qui abrita il y a quelques siècles, six pontificats…

Faites vous votre opinion :

A voir sur Arte TV + 7 ICI encore quelques jours


jeudi 15 juillet 2010

Avignon - Nordey - Richter

« My Secret Garden »
de Falk Richter
Mise en scène Stanislas Nordey
avec Stanislas Nordey, Anne Tismer, Laurent Sauvage
Scénographie
Katrin Hoffmann
Salle Monfavet du 9 au 17 juillet

La vraie découverte de ce festival, à mon sens, mon coup de cœur, c’est cet opus « autofictionnel » de Falk Richter, admirablement mis en scène par Stanislas Nordey et porté par trois comédiens exceptionnels. Né d’une collaboration entre les deux metteurs en scène, ce texte n’a cessé de se modifier au cours des répétitions raconte Nordey. Au départ une sorte de journal intime d’un auteur de 40 ans, qui s’interroge sur sa vie, son enfance, la relation avec ses parents issus d’une génération bien particulière de la fin de la seconde guerre mondiale, sa création, son devenir…

Cela commence par une recherche de titre, Stanislas Nordey, porteur de la parole de Falk Richter, ou comment être dans la peau d’un semblable différent, 40 mn de monologue à bout de souffle, sur l’enfance, l’adolescence, ou l’horreur de la découverte des secrets d’une famille allemande… Et puis l’on s’interroge sur le souvenir, en quoi l’enfance nous constitue, ce que l’on laisse nous façonner, ce que l’on fuit définitivement, ce qui nous rattrape néanmoins… Tout fait écho, quelque soit notre âge ou nos origines, cette pensée parfois criée par un Nordey époustouflant d’énergie et d’abîme, vient frapper à notre porte.

Et puis cela s’enchaîne avec des « brouilleurs de pistes », deux autres comédiens rejoignent le plateau. Anne Tismer tout d’abord, la femme, les femmes, le regard bienveillant, ou l’échappée. Et Laurent Sauvage, la parole extérieure, d’un intérieur qui se regarde faire, parfois avec ironie, ou tristesse, ou encore impatience. Ils saisissent des micros et chacun à leur manière, témoignent. Nordey continue sur cet effet miroir du metteur en scène, qui semble questionner les deux autres comme autant d’interlocuteurs potentiels. Laurent Sauvage raconte, les lieux, les rencontres, les hôtels du bout du monde, la solitude du créateur, Anne Tismer mime, joue, imite les femmes qui passent, qui restent, ou que l’on rêve, ou le conférencier qui parle de « désamorcer la colère »… et puis la parole s’élargit « nous sommes tous des mutilés de guerre économique », devient cynique « tout cela est triste, atrocement solitaire et merdique ». Un film sur l’enfant est projeté et les trois comédiens se mettent à démonter le décor qui était fait de boîtes en métal. Ils les ouvrent et les déballent à la manière d’enfants dans un grenier, découvrant leur histoire. Des écrits, des objets envahissent le plateau, du petit électroménager des années 60… et puis de quoi se faire un barbecue, trois saucisses et une bonne bouteille, un peu comme pour dire que finalement tout cela n’est pas si grave. Une forme de pirouette, pied de nez à la bourgeoisie qui peut s’insinuer en nous malgré tout.


Après tant d’efforts, qui n’a pas envie de poser un peu ses bagages ? L’ouverture des « boîtes » peut se faire aussi joyeusement, comme fouiller dans sa mémoire peut aboutir à quelque chose de pacifié. C’est une pièce magnifique, un texte riche et drôle, ce qui m’avait manqué jusqu’à présent dans ce festival, une vraie écriture. C’est aussi un résultat extrêmement abouti, alors que tout s’est répété en trois semaines, le texte se modifiant au fur et à mesure. Peut-être parce que Richter a écrit pour ces comédiens là ? Peut-être parce que deux metteurs en scène sur un projet en resserrent les failles ? Ou parce qu’une parole juste, est porteuse de lumière ?

« Je voudrais que tu me dises que tout cela n’est pas de ma faute » demande « l’auteur » à la fin à la femme qu’il aime, ou celle qui la représente. Une histoire de culpabilité, une volonté de digérer son histoire et d’en ressortir avec le meilleur, une responsabilité ensuite d’être en ce monde et de vouloir y porter un message.

A courir voir en reprise !

Reprise aux Quartiers d’Ivry en Décembre 2010 et ensuite en tournée en France et Belgique en 2011

un extrait (texte de Büchner) : ICI

arte : ICI d'autres extraits


samedi 10 juillet 2010

Avignon - Lambert-Wild

« La mort d'Adam, ou deuxième mélopée de l'hypogée »
de et mise en scène Jean Lambert-Wild
avec Bénédicte Debilly, Jeremiah McDonald, Jean Lambert-Wild et le petit Camille Lambert-Wild
musique Jean-Luc Therminarias
Film : François Royet
Au Tinel de la Chartreuse du 8 au 15 juillet

Une femme s’assoit dans un fauteuil et nous lit une histoire. Sur le plateau défilent des images filmées sur un écran et derrière des scènes se déroulent en écho à ce film. C’est une légende racontée par son narrateur. Un fils de roi, qui règne sur une île, narre sa naissance, son adolescence et son mysticisme. Pendant ce temps un homme en pyjama arpente la plage avec son fils sur le film et puis est fait comme prisonnier par un homme peint en noir. Sur le plateau ce même homme en pyjama entre et sort part des portes qui s’ouvrent et se ferment…

Abondance d'images qui se succèdent. L'homme a le visage peint en rouge, et sur le film les yeux bandés. L'imaginaire mis à profit doit pouvoir interpréter les nombreuses références. On parle de la mort du père, de celui de Dieu, de la perte des repères, du besoin de culte et de mysticisme. La présence très forte de la nature et les déambulations sur la terre natale de l'auteur, l'île de la Réunion, renforce l'intensité du retour aux sources, à la mère, et à la violence de ce que l'on ne maîtrise pas. Les portes et les entrées et sorties comme autant de chemins possibles pour l'homme qui se perd. Sa position d'esclave ou encore sa soumission à sa destinée...

Le texte raconte le Dieu Adam, forme de taureau blanc géant, minotaure gentil et obèse, qui protège sa population qui l’adule. L’écriture est extrêmement précieuse, parsemée de mots compliqués, et pompeux qu'il est difficile à suivre parfois. J’avoue avoir du mal à m’intéresser à cet enchevêtrement de couches, qui finissent par nous perdre de par trop d’images et de sous-titres, sous-entendus obscurs. Une scène finale rappelant « la Cène » se propose de manger le Dieu Adam, et l’homme au pyjama se voit couper la tête, mangée à son tour par son double…

C’est un mélange entre art contemporain et théâtre, comme Gisèle Vienne, ou la musique plonge dans un univers glauque et saisissant. Mais autant le système art contemporain obscur et « poétique » me laisse indifférente chez Vienne, autant ici, il me semble animé par une sincérité qui est tout sauf mondaine. La pièce est obscure mais honnête et la parole délayée dans une chantilly de mots alambiqués, repose sur des préceptes réels de pensées sur le rapport à la déité ou au culte, païen ou parental. Dommage que tout cela se dissolve dans des directions multiples qui nous égarent. Là où Vienne me semble noyer un propos pauvre dans une surabondance d’effets, Lambert-Wild fait le contraire et son message sans doute passionnant ne m’est pas totalement parvenu faute d'un peu plus de simplicité peut être…

Un extrait ICI


vendredi 9 juillet 2010

Avignon - Lagarde - Cadiot

« Un nid pour quoi faire »
mise en scène Ludovic Lagarde
texte d'Olivier Cadiot
Scénographie Antoine Vasseur
avec Pierre Baux, Valérie Dashwood, Guillaume Girard, Constance Larrieu, Ruth Marcelin, Laurent Poitrenaux, Samuel Réhault, Julien Storini et Christèle Tual
musique Rodolphe Burger
Au gymnase Gérard Philipe du 8 au 18 juillet

A l’origine un roman, plus tard une chanson de Rodolphe Burger, et maintenant une pièce, « Un nid pour quoi faire » adaptée par Lagarde en collaboration avec Cadiot, est assez réussie, dynamique et drôle.

Un immense loft style chalet de montagne est recréé sur le plateau, un écran géant remplace le mur du fond. Vidéo de neige et de montagne, parcours de routes, exil, des images projetées, entre les souvenirs, l’imagination et la fenêtre ouverte du loft. Et c’est parti au pas de course et en musique les comédiens investissent l’espace. Une cour royale en exil, un roi en tête, cherche à redorer son blason aux yeux du monde, et « brainstorme » sur une communication efficace. Un nouveau venu est recruté pour apporter des idées. Cour baroque, loufoque, déjantée comme devait l’être celle des rois décadents, inoccupée et trouvant des jeux les plus ridicules ou cruels les uns des autres. Et puis en fond, cette voix off qui est celle du « petit nouveau » observant ces personnages singuliers, clins d'oeil à certains travers de notre société ? : le médecin M. Bouboules (« les petites boules de minéraux tous les matins »), Goethe l’intendante et coach de tout le monde (exceptionnelle Valérie Dashwood), la marquise et la dauphine, le poète (appelé Bossuet) qui commet des aikus aussi pauvres les uns que les autres, le Prince qui désole son roi, et une cuisinière… Tout ce petit monde couche ensemble à ses heures, se chamaille sans cesse, dit beaucoup d’âneries, fait de son mieux pour divertir un roi blasé, las et fat de sa personne, qui finira par jeter l’éponge. Bien sûr des dizaines de parallèles à notre « royauté » actuelle se font dans nos têtes au cours du spectacle, même si ce n’est jamais évoqué clairement. De même le ridicule de la « communication » à outrance et de l’univers de la pub sont mis à mal de manière fort savoureuse. Ou comment discrètement, se moquer des « pubeux », prêts à tout pour faire passer des messages, quitte à être complètement excessifs et en dehors des réalités. Bref le règne du superficiel, du zapping, dès que l'on s'ennuie on cherche une nouvelle distraction... Société médiatique et qui n'existe pas sans communication efficace ?

Nous voilà revenus au temps ou Molière singeait ses contemporains avec beaucoup de finesse, n'est-ce pas ?

Les passages en voix off sont plus poétiques et réflectifs, et contrastent avec le dynamisme des scènes. « Respiration » intéressante, même si je n’ai pas été transcendée par l’écriture…

Une bonne pièce, de très bons comédiens, je n’aurais peut-être qu’un regret, que ça ne soit pas légèrement plus trash, car finalement pour ce que cela « dénonce », l’ensemble reste assez « sage ». Alors de quel nid s’agit-il finalement ? Le refuge, le lieu où l’on s’échappe de tout, apparaît ici plutôt mortifère, et illusoire, comme un eldorado dont finalement on essaye de partir à tout prix. Et surtout pour quoi faire ? Car qui peut échapper à son environnement ? Et l'on se prend à rêver d'en trouver un...

Reprise en octobre au théâtre de la ville à Paris

des extraits vidéos ICI


Avignon - Vienne

« This is how you will disappear »
mise en espace Gisèle Vienne
textes de Dennis Cooper
avec Jonathan Capdevielle, Margret Sara Gudjonsdottir, Jonathan Schatz
musique Stephen O’Malley et Peter Rehberg
Au gymnase Aubanel du 8 au 15 juillet

Premier jour du festival je commence par le spectacle de Gisèle Vienne « This is how you will disappear », une création multiforme, multi-mains, multi-sources… Dans un gymnase immense et glacial, bienvenu par cette chaleur, l’artiste a recréé une forêt sur le plateau. Rapidement des nappes de sons, musique de film d’horreur améliorée nous plonge dans une ambiance lugubre. Une jeune gymnaste s’entraîne avec son coach, répète des mouvements, costumes blancs qui dénotent dans l’ombre. Le texte de Dennis Cooper défile dans un coin en haut, il parle de mort, de tuer, de jeter un corps dans la rivière... Les pulsions de mort de Vienne épousent parfaitement celles de Cooper, leur univers se fait écho. Le coach disparaît, la gymnaste reste seule et danse. Puis une nappe gigantesque de brume nous envahit et plonge le gymnase dans le brouillard.
Nous restons comme cela un moment écoutant la musique brumeuse elle aussi, essayant de distinguer quelque chose sur le plateau. Très belle image et sensation assez forte de dépaysement, et soudain une forme se distingue. Entre les couches de nuages distillées, un homme tête baissé, costume noir et or apparaît. Cela restera pour moi le moment le plus marquant de cet ovni, finalement assez obscur. La rock star sorte d’ersatz de Tokyo Hôtel, abattue, se traîne entre les arbres en gémissant et le coach revient pour lui demander ce qu’il a. Et de nous raconter en pleurant qu’il a tué ou aurait tué sa copine, violée peut-être ? Tout ceci n’est pas clair, fantasme ? réalité ? il pleure… et puis le coach de lui casser la figure, de le tabasser. La fille revient, et penchée sur son cadavre, ou pas, lui parle en chantant sa vie de gymnaste célèbre. Puis tout disparaît et réapparaît un tableau de marionnettes géantes, sorte de scène de camping immobilisé, recréant les personnages précédents et en rajoutant d’autres. Enfin le coach revient, un grillage se baisse, un faucon traverse l’espace. L’ancien coach en tenue de tir, tire à l’arc sur un arbre.

La mise à mal des icones adolescentes que sont la gymnaste ou le chanteur de midinettes, plongés dans une forêt "Blair witchénne", comme la somme de toutes les peurs et la violence de ce passage à l'âge adulte, l'échappée de la nature et des images adultes carcérales... La liberté surveillée et l'impossibilité d'échapper à sa route, "le dérapage"... le fantasme de celui-ci, aller trop loin, mais finalement... mettre la forêt en cage. Transformer les hommes en marionnettes... Nombreuses sont les interprétations de ces tableaux qui se succèdent, mais qui tournent un peu en rond.

D’un côté il faut saluer la facture moderne et singulière, la beauté du décor et l’effort d’univers qui transporte le spectateur. Mais d’un autre je me suis sentie très exclue de ces saynètes enchaînées, qui me racontent trop ou pas assez, d’un texte un peu récurrent et que je trouve plutôt pauvre, et enfin d’une forme posée et sinistre, dont le message si tant est qu’il y en ait un, reste aussi obscur que sa forme. Beaucoup de bruit pour rien a été ma première pensée en en sortant avec énormément de moyens et de gens (musiciens, marionnettes, décor naturel, fauconniers, etc.) pour un fond finalement relativement indigent, qui se veut contemporain et poétique, est en fait pour moi assez plaqué et superficiel.

lundi 5 juillet 2010

Rencontre Blogueurs au théâtre de Gennevilliers avec Pascal Rambert

Fin de journée, début chaud d’été parisien, nous sommes une dizaine, accueillis par Pascal Rambert dans son grand «paquebot» de Gennevilliers. Sylvie et Pauline nous servent un mojito menthe fraise, bienvenu avec cette chaleur. Pascal nous fait visiter ce lieu dont il a repris la direction depuis maintenant 3 saisons. Quelques infos sur les lumières «inutiles, qui annoncent si le théâtre est en veille, en répétition ou en scène, petits détails poétiques comme un phare dans une ville éclairée. Mais c’est avec ces «petits riens» que la magie commence. Ensuite un tour dans ce grand théâtre et un oeil sur cette immense halle qui le juxtapose, prêtée par la mairie et qui va devenir un Franprix à la rentrée... Soupirs de tout le monde... quel dommage de perdre un tel espace. Mais de l’espace il y en a au théâtre de Gennevilliers, l’immense plateau 3 notamment, réalisé par Sobel à l’époque, que l’on peut diviser en deux et qui est totalement insonorisé. Enfin Pascal de conclure que dans ce lieu, après les ordi du rez-de chaussée qui servent notamment aux «jeunes du quartier» qui viennent surfer sur le net, la bibliothèque de livres et le salon du premier, qu’il a presque tout réalisé, à part la librairie «trop petite pour Gallimard»...

Nous prenons finalement l’apéro sur la terrasse à la fraîcheur des plantes, et Pascal nous présente la prochaine saison.


Toujours dans l’esprit de présenter des artistes contemporains, vivants, des «artistes entiers» la saison prochaine restera dans la continuité des «spectacles difficiles». C’est à dire pas forcément pré-mâchés mais pour peu qu’on s’y attarde, totalement accessibles à la sensation. Pascal Rambert aime bien travailler sur des projets spécifiques avec des artistes qu’il admire, et depuis le début de son directorat, seul Hubert Colas et Jan Fabre n’ont pas encore été à l’affiche. Ceci sera réparé en saison 11-12 si les agendas le permettent.

Mais pour en revenir à 10-11, dans la nécessité de présenter des travaux qui participent à «laver le regard, remettre à zéro... re-regarder les gestes autrement» des artistes peu connus seront invités : Mathieu Bertholet, Christophe Fiat par exemple. Bien sûr toujours autant de place pour la danse avec Mathilde Monnier et Cindy Van Acker. Les arts plastiques avec cette année le japonais Ryoji Ikeda, «toujours novateurs en gestes artistiques les japonais» dit Pascal Rambert, et aussi Toshiki Okada en théâtre. Une pièce en islandais, voilà une des belles originalités de cette année sur un texte de Marie Darrieussecq, mis en scène par Arthur Nauzyciel. Il y aura aussi de l’Opéra, un pour enfants par Pascal Dusapin et André Wilms, et puis «Armide» de Lully, mis en scène par Pascal Rambert.

Les ateliers d’écritures continueront l’aventure ainsi que les rencontres philosophiques, dirigées l’année dernière par Marie-Josée Mondzain, qui a désigné comme successeur cette année Emmanuel Alloa. Les ateliers d’écriture dont on peut voir des témoignages ici, et auquel j’ai participé une fois. Expérience passionnante, j’écrirai sans doute un article dessus.

Et puis dans l’idée de la transmission, de créer un lien entre les générations d’artistes de théâtre, entre ceux qui occupent brillamment la scène depuis de nombreuses années et la génération qui arrive, Pascal Rambert a voulu inviter Patrice Chéreau, Claude Régy, Bernard Sobel et Jean-Pierre Vincent un soir dans l’année à répondre à des questions. En partenariat avec François Berreur et des journalistes, pour «créer de la porosité, revenir avec une autre parole» nous dit Pascal. Je pense que pour des jeunes artistes c’est précieux inestimable comme échanges. Personnellement dans mon travail de recherche en mise en scène, je suis très demandeuse de ce genre de rencontres. Le 104 en organisait parfois aussi du temps de Fisbach-Cantarella, espérons qu’ils continueront.

Dans le même esprit de transmission, il y aura aussi comme l’an passé, des répétitions ouvertes, et cela aussi je vous le conseille pour voir des artistes travailler. (Christophe Fiat, Mathieu Bertholet et «16 ans» de Pascal Rambert).

Enfin Nan Goldin sera la photographe invitée cette année et ceux qui veulent peuvent dès aujourd’hui commander un agenda avec ses photos ici.

Pascal conclut en expliquant qu’il a conscience que cette programmation est rigoureuse et qu’il doit travailler avec à l’esprit le fait qu’il y a de moins en moins d’argent, que la fréquentation baisse et que les théâtres de banlieue attirent moins que ceux de Paris. Il y a «un rapport particulier à la distance». Mais il souhaite que les gens puissent venir voir une année entière, pour «traverser une programmation et la comprendre comme un geste artistique» en soi. Il termine en disant que «ce geste s’il le rate, il ne sait pas si ceux qui lui succéderont auront les moyens de le faire»...

Saison détaillée sur le site du théâtre 2 Gennevilliers ICI