vendredi 15 octobre 2010

La loi du marcheur - Didry - Bouchaud - Daney

D'après les entretiens de Serge Daney mis en scène par Eric Didry
avec Nicolas Bouchaud
au théâtre du Rond Point jusqu'au 17 octobre
reprise en décembre au 104

Nicolas Bouchaud fume des cigarettes derrière un écran blanc et surveille du coin de l'oeil notre entrée. Légèrement ébouriffé, et sur le qui vive, comme essayant de capturer une idées parmi toutes celles qui lui passeraient par la tête, il s'avance enfin vers nous. Il est Serge Daney, critique génial de cinéma, passionnant et révolté, disparu trop tôt en 1992. Cela commence par l'enfance, qu'est ce qui mène un enfant ébloui par le cinéma à en être habité pour toujours ? Quelles icônes, et pourquoi ? Et pour appartenir à quelle société ?

"Le cinéma c'est une promesse d'être un jour citoyen du monde..."

Entre souvenirs cocasses et vraies réflexions, Daney-Bouchaud nous amènent à réfléchir sur la part d'investissement de soi dans notre regard sur le cinéma. Les années 50 un peu ringardes en France, puis la nouvelle vague "le cinéma est un art réaliste sinon rien", autant d'évolutions artistiques, reflets de notre société. Visionnaire, et profondément inquiet quant à l'avenir de la création, ces entretiens semblent toujours autant d'actualité 20 ans après.

Parmi ses souvenirs de critique, et ses remarques pertinentes, sont projetés sur l'écran blanc, des extraits de "Rio Bravo" de Howard Hawks, que le comédien regarde, pastiche, suit, illustre, tel un enfant émerveillé... Métaphore de la magie du grand écran et de sa propension à avaler l'être dans son entier, tout en étant un écho de nos fantasmes.

photo Brigitte Enguérand

Eric Didry a travaillé entre autres avec Claude Régy. Nicolas Bouchaud est le comédien qui a représenté tous les intermittents aux derniers Molières, dans le rôle de l'agitateur... Nous sommes en famille n'est-ce pas, de ceux qui tirent les signaux d'alarmes et qui tentent avec leurs armes de révéler ou de nous rappeler les dérives inquiétantes de notre temps. Serge Daney évoquait déjà en 1992 son scepticisme quant à la "télé réalité" et de nous présenter une très belle comparaison avec le cinéma qui "montre" et la télé qui "programme" ce qui fait que les gens ne voient rien. "Chaque jour les images perdent de leurs forces"... comment ne pas être interpellé par une parole si visionnaire ? De notre monde noyé d'images et d'informations, qui ne sort plus l'essentiel mais le fait disparaître. Ces entretiens admirablement bien joués par un Nicolas Bouchaud inspiré et inspirant, une mise en scène sobre, essentielle et ludique, qui n'hésite pas à nous bousculer et à impliquer le spectateur, sont un vrai moment de révélation sur la qualité de la pensée d'un passionné, mais nous rappellent aussi comment l'art peut-être à la fois politique et révélateur social.

"Si le théâtre avait la force qu'il avait eu (...) on y viendrait tous les jours se purger. Mais aujourd'hui ça a du mal à exister car les médias tuent, dévitalisent..." petite remarque au passage qui ne cesse d'être vraie. On ne peut s'empêcher de déplorer que Serge Daney soit parti si tôt, emporté par le sida quelques mois après ces entretiens filmés, encore une voix essentielle qui nous manquera, merci à l'équipe d'Eric Didry de nous faire revivre ce moment de pensées indispensables drôles et instructives, qu'il faut aller voir au 104 en reprise à partir du 11 décembre 2010.

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