jeudi 9 mai 2013

The four seasons Restaurant - Castellucci

Une création de Roméo Castellucci d'après le poème d'Hölderlin "Empédocle"
avec Chiara Causa, Silvia Costa, Laura Dondoli, Irene Petris et des figurantes : Myriam Sokoloff, Carlotta Moraru, Marine Granat, Marie Dissais, Moira Dalant et Clara Chabalier
Musique Scott Gibbons
Jusqu'au 27 avril 2013 au Théâtre de la Ville

Voici un spectacle qui est à la fois singulier et dense. Apparemment c'est une habitude chez Roméo Castellucci, c'est la première fois que je voyais une de ses créations et j'étais assez impatiente. Ce qu'il en ressort en premier lieu c'est la richesse de l'ensemble. Que cela soit le travail sur le texte, le jeu, les costumes, les intermèdes, les images, les références... On sort de l'indigence théâtrale qui nous envahit de plus en plus ces derniers temps. Enfin, on respire, quelqu'un qui travaille tout un ensemble et qui nourrit le spectateur tant en réflexions philosophiques, métaphysique, esthétique, littéraire et poétique, physique, théâtrale, politique... tout en allégories et associations intenses. Tout fait sens et se lie pour nous raconter une histoire, nous interroger, nous effleurer, mais aussi nous surprendre et nous ravir.

Cela commence par la métaphysique. Un rythme assourdissant nous enveloppe, c'est presque un coeur qui bat si ce n'était le "bruit" qui l'accompagne, une irrégularité et un ensemble de sons inouis perturbent nos sens. Heureusement un texte défile et nous nous y accrochons. Il s'agit du son que font les matières qui rebondissent au bord des trous noirs, au lieu de s'y laisser absorber. Immédiatement l'on peut faire le rapprochement avec la résistance artistique, le geste de Rothko qui refuse d'accrocher ses toiles et en écho, même par opposition, celui d'Empédocle qui lui en se jetant dans l'Etna, résiste aussi à sa manière. Le ton est donc donné, c'est un spectacle qui déploie des fils à tirer ou à suivre, des résonances, des liens entre les images que Castellucci distillera... 

Christophe Raynaud de Lage

Puis un autre geste, celui de se couper la langue, des femmes vêtues comme des travailleuses d'un temps ancien, elles pourraient être russes, ou chinoises, ou italiennes... sous une dictature, un brassard rouge à leur bras, répètent ensemble le texte d'Hölderlin, sur Empédocle et tout en poses, en gestuelle précises et exagérées. Elles sont toutes les femmes, elles sont tous les hommes, les résistants et ceux qui suivent, les rebelles et les suiveurs, elles sont l'humanité. Chacun y lira son histoire, les mots sont prétextes, la magie et la force de Castellucci est de tenter une création humaniste. Il y a tant de parallèles, de références, d'images et de mots qui rassemblent et font écho en nous à tout ce que nous connaissons de l'art et de la politique qu'il est impossible de les énumérer ici. Ces femmes sont magnifiques et le texte même si nous ne pouvons que l'effleurer dans sa rapide énonciation et sa complexité, nous berce dans la manière du dire qu'elles emploient. Une grande douceur émane d'elles en enfin, elles renaissent, elles dansent ou bien elles s'englobent... La poésie de leurs mouvements nous prend aussi, pour peu que l'on s'y glisse. 

Enfin le tourbillon se re-déploie et dans un vacarme assourdissant, une vision d'épinal apparaît dans un volcan, une répétition de la fin, un geste qui rappelle celui d'Empédocle, une libération, nous sommes envahis, terrassés, soulevés... Tout disparaît et nous n'entendons plus qu'une énorme soufflerie, une allégorie grandeur nature envahit le plateau, plus rien n'existe d'autre. Nous  ne sommes plus que dans la sensation, comme au début du spectacle, la boucle bouclée, notre imaginaire saisit et nos sens ravis. Au creux du volcan et de la mort, les femmes nues réapparaissent, et un visage terne et souriant nous glace. Chacun ici encore une fois, peut se raconter ce qu'il veut. Castellucci nous prend en otage avec des références innombrables que l'on ne peut pas toutes saisir, mais en même temps il nous livre tant à réfléchir que l'on ne peut que chérir cet immense travail.