mardi 16 octobre 2012

La barque le soir - Vesaas - Régy

avec Yann Boudaud
et Olivier Bonnefoy et Nichan Moumdjian
lumières Remi Godfroy
scénographie Sallahdyn Khatir
son Philippe Cachia
mise en scène Claude Régy
aux ateliers Berthier jusqu'au 3 novembre 2012

Ce n'est pas facile de s'exprimer sur le travail de Claude Régy car il nous fait vivre une expérience toute personnelle et sensorielle, un voyage intérieur dont le témoignage est subjectif.
Nous pouvons commencer par ce qui a sans doute inspiré le metteur en scène : le texte sublime de l'auteur. Nous est présenté ici un court extrait tiré de "La barque le soir" de l'écrivain Norvégien Tarjei Vesaas, relatant la tombée à l'eau d'un homme, sa dérive et son sauvetage. C'est un auteur qui nécessiterait à lui seul un article, tant son écriture est saisissante de beauté et de poésie. Il a un talent de précision rare, qui rend la lecture très visuelle, ceci est précieux au théâtre et invite à toutes les imaginations. 

Pour porter ce texte magnifique, Claude Régy a créé un écrin. Nous sommes installés dans la pénombre, une faible lumière rouge sombre baigne l'espace et nous enveloppe. On devine une traverse blanche de part en part et une bâche de plastique suspendue évoque par ses mouvements irréguliers, comme une forêt sous la neige. Un presque silence règne, désiré par le metteur en scène, précisé à l'entrée, quelques spectateurs chuchotent malgré tout. Une torpeur nous saisit, effet sans doute voulu également, une invitation à la rêverie.
Le comédien paraît enfin et nous emmène loin. Il entre dans une concentration absolue de ce qu'il a à dire, nous suspend à ses mots rendus indispensables par cette mise en scène. Il dessine parfois quelques gestes qui accompagnent ce qu'il raconte comme on tient délicatement un enfant par la main lorsqu'il fait ses premiers pas. 

photo Pascal Victor

L'histoire de cet homme qui glisse, qui coule, qui remonte, qui s'agrippe, qui se noie presque, qui revient... nous sommes à la fois haletants à son devenir, tout en étant bercés par les mots et la lenteur des gestes. Le drame qui se déroule contraste par la délicatesse de la présentation et la somnolence provoquée par la concentration, la pénombre, l'articulation des mots. On tente d'interpréter les lignes entre les lignes de ce texte, parfois en vain, nous sommes nous mêmes attirés par les profondeurs, nous glissons... Les nappes de sons qui entourent le comédiens et nous portent ou nous réveillent, sont parfaitement ajustées comme cette lumière qui n'est que nuances d'obscurités. Tout un travail d'orfèvres pour chacun des intervenants de ce spectacle. 

Soudain des grognements de l'acteur nous tirent de la rêverie. Un chien, un chien, nous sommes au théâtre voyons ! Nous l'aurions presque oublié ! Ce passage est très concret, très vivant, remuant, dérangeant. Décidément Régy souhaite nous secouer tant qu'il le peut, par tous les moyens. 

Ce qui est étonnant dans ces mises en scènes, auxquelles on s'habitue, ou pas, qui nous dérangent ou nous subjuguent, c'est l'emprise inconsciente que cela a sur nous. Il y a un par delà le texte, un au delà du théâtre, une tentative de rejoindre quelque chose chez nous qui vibrerait, ensemble, ou dans une solitude, mais qui serait une expérience "bullaire" et troublante pour peu qu'on s'y laisse glisser. A la fois nous ne sommes pas habitués à cela au théâtre, à la fois n'est-ce pas la mission du théâtre ? Régy reste un grand génie de la mise en scène à savourer encore tant qu'il est là.

A saluer bien sûr la performance du comédien qui est exceptionnel et qui transcende le texte dans un justesse éblouissante.



mardi 18 septembre 2012

Saison 12/13 recommandations

Voici par théâtre, ce que je pense aller voir cette saison, si j'arrive à obtenir des places car il me semble que pour certains théâtres, c'est de plus en plus compliqué (je parle de places payantes bien sûr).

Le théâtre de Gennevilliers :

- 4 solos de Jan Fabre du 23 novembre au 2 décembre 2012
Même si son travail est parfois extrême, il fait du bien en secouant les puces des français bien trop politiquement correct. Même si parfois à "trop montrer", on coupe l'imaginaire des spectateurs, il y a une recherche des limites qui m'intéresse.

- "Muerte y reencarnacion en un cowboy" de Rodrigo Garcia du 11 au 19 janvier 2013
Quelque chose me dit que les bouddhistes ne viendront pas protester contre une vision trop crue de la réincarnation, ce spectacle devrait se dérouler dans le calme comparé à celui de l'an passé, où les catholiques intégristes avaient vraiment fait preuve d'un grand manque de tolérance. Les spectacles de Rodrigo Garcia sont toujours très critique face à la société contemporaine, mais si ce n'est pas le travail de l'art de le faire, alors qui ?

- "Memento Mori" de Pascal Rambert du 27 mars au 17 avril 2013
Après un spectacle tout en mots et en maux de l'an passé, voici un spectacle tout en gestes et en corps, ce qui n'empêche pas tous les spectacles de Pascal Rambert d'être en mots, en maux et en corps. Encore...

- "Retours du Japon"  du 12 au 26 avril  2013 avec un spectacle de Christophe Fiat, petit génie du théâtre qui réussit tout ce qu'il fait alors qu'il débute et une pièce très attendue de Philippe Quesne qui tourne maintenant tellement à l'étranger qu'il nous manque bien par chez nous. A voir car ici nous avons la crème de l'avant garde française, comme toujours programmée à Gennevilliers.

Réservation et abonnements sur : Le Site du Théâtre de Gennevilliers

Le théâtre de l'Odéon :

- "Glaube, Liebe, Hoffnung" de Christoph Marthaler du 14 au 21 septembre 2012
Ce sont toujours de petites merveilles de musique et d'absurde que nous propose ce metteur en scène si difficile à voir, tout est archi complet, je n'irai malheureusement pas mais je voulais quand même le signaler.

- "La barque le soir" de Claude Régy d'après un texte de Tarjei Vesaas du 27 septembre au 3 novembre 2012
Les spectacles de Claude Régy sont des bijoux, des moments uniques et il ne faut pas les rater, car un jour il n'y en aura plus. Même s'ils sont difficiles d'accès et demandent au spectateur de s'impliquer et de renoncer à sa passivité habituelle, cela vaut toujours le coup de se laisser déranger par un metteur en scène hors du commun, qui a compris le mot langage.

- Une création de Joël Pommerat du 17 janvier au 3 mars 2013 à ne pas rater même si l'on ne sait pas encore de quoi il s'agit.

Abonnement ou réservation 14 jours avant le spectacle sur place

Le théâtre de la Bastille :

Cette année ce théâtre ne programme que des auteurs ou metteurs en scène que je ne connais pas (ou très peu) donc je pense aller voir par curiosité mais sans savoir ce que c'est :

-"Lost Replay" de Gérard Watkins du 7 janvier au 3 février 2013, parce qu'il y a notamment Anne Alvaro...

- "La légende de Bornéo" par le collectif l'avantage du doute du 4 au 26 juin 2013

- "Mes jambes, si vous saviez quelle fumée..." de Bruno Geslin et Pierre Maillet du 12 au 30 juin 2013 car c'est d'apres l'oeuvre de Pierre Molinier que j'adore

Réservation et abonnements sur : Le site du Théâtre de la Bastille

Le théâtre de la Colline :

- "Tristesse animal noir" d'après Anja Hilling, mise en scène Stanislas Nordey du 11 janvier au 2 février 2013
Parce que je ne rate jamais un spectacle de Stanislas Nordey, qui est un metteur en scène toujours en recherche, en sculpture du texte et des comédiens.

- "Le cabaret discrépant" d'après Isidore Isou, mise en scène Olivia Granville du 25 janvier au 16 février 2013
Pour Manuel Vallade qui est un excellent comédien et pour l'auteur que je ne connais pas.

Réservation et abonnements sur : Le site du théâtre de la Colline

Le théâtre Gérard Philippe TGP de Saint Denis :

- Diptyque du théâtre Pôle Nord "Oh mon Pays !" (soit "Sandrine" et "Chacal") de Lise Maussion et Damien Mongin, spectacles grandeur nature de vie nature, si vous les avez raté l'an passé, rattrapage indispensable du 29 mars au 9 avril 2013

Réservation et abonnements sur : Le site du TGP

Le théâtre du Rond Point :

- "Mon dernier cheveu noir" de Jean-Louis Fournier, mise en scène Anne Bourgeois du 17 octobre au 10 novembre 2012, dont j'avais vu une adorable et talentueuse mise en scène, j'ai envie de revoir son travail. Elle a mille idées et transforme en conte pour adulte, toutes les histoires.

- "Artaud" de Tom Peuckert mise en scène Paul Plamper, du 14 au 18 novembre 2012, on ne rate rien sur Artaud, c'est comme ça...!

Réservation et abonnements sur : Le site du Théâtre du Rond Point

Le théâtre de la Ville :

-La cité du Rêve" de Krystian Lupa, du 5 au 9 octobre 2012, car il faut voir le travail de ce metteur en scène polonais très original, que je ne connais pas encore...

- "The four seasons restaurant" de Romeo Castellucci du 17 au 27 avril 2013, pour Castellucci que je ne connais pas encore et dont j'entends parler tout le temps...

Abonnements uniquement, ou réservation sur place 3 semaines avant

Le théâtre des Bouffes du Nord :

- "Quand on pense qu'on va vieillir ensemble" des Chiens de Navarre, du 14 au 25 mai 2013, il ne faut pas rater ce collectif déjanté dont j'ai si souvent parlé sur ce blog, qui sont pour moi à la pointe de la création théâtrale aujourd'hui, à suivre dans tout ce qu'ils font !


Théâtre national de Chaillot :

-"Roméo et Juliette" de Shakespeare, mise en scène David Bobée, du 15 au 23 novembre 2012
Après son merveilleux et sombre Hamlet, j'ai hâte de voir ce qu'il présentera sur Roméo et Juliette. Ce jeune metteur en scène esthète, présente un travail très visuel et à tiroir. A suivre

- "Seuls" de et avec Wajdi Mouawad, du 19 au 29 mars 2013, c'est une reprise, à voir pour ceux qui l'ont raté, un texte dit par l'auteur, ce qui est rare chez Mouawad.

Réservations et abonnements sur : Le site du théâtre de Chaillot

Voilà à bientôt pour d'autres conseils...!

mercredi 20 juin 2012

Je m'occupe de vous personnellement - Yves-Noël Genod

Création au théâtre du Rond Point jusqu'au 24 juin 2012
avec Valerie Dréville, Marlène Saldana, Alexandre Styker, Lorenzo de Angelis, Dominique Uber et d'autres...

Devant un plateau nu, quelques plantes près des fenêtres ouvertes sur la rue, Yves-Noël Génod nous accueille depuis les gradins, en faisant tirer quelques cartes sur lesquelles sont notées des citations. Il nous accueille pour mieux nous ensorceler ensuite, nous glisser dans son monde. 

Son travail est une sorte de théâtre "performatif", sous forme de successions de tableaux poétiques que l'on peut s'approprier (ou pas) selon les déambulations des comédiens. Par exemple cela commence par un jeune homme qui s'asperge d'eau en écoutant la Callas, entre naïveté et vraie candeur (que l'on perd un peu de vue de nos jours) avec une légère ironie. Puis Marlène Saldana apparaît avec un masque de François Hollande et jette une vraie dérision sur le plateau, avec sa grande classe désinvolte. 

Le temps est une flânerie, une lente observation extérieure et intérieure, on lutte légèrement pour ne pas se laisser prendre mais c'est avec délice qu'on embarque. Les comédiens jouent avec ce qui est là, s'interpellent, ou restent dans leurs bulles, ils se croisent, se parlent, se quittent. Nous nous perdons dans le jeu de nos attentes, dévidant les pelotes de laines mentales qu'ils nous laissent, afin que nous imaginions notre propre histoire. 

Il s'agit parfois de perdre le regard en créant différents points de vues, et nous laisser choisir ce que nous souhaitons, comme chez Régy, le spectateur est actif dans la représentation, par l'effort intellectuel qu'il doit fournir. Certains n'ont pas la patience et sortent. Cela demande une propension à la rêverie ou d'accepter de baisser les armes. Celui-ci danse, celle-là éclate un moustique sur le mur, cette autre branche son portable... C'est un peu sans filet pour les comédiens qui composent, même s'ils ont sans doute un canevas, et perturbant pour les spectateurs non avertis à la Génod-manie. Il interroge ainsi notre capacité au rêve éveillé et étire le temps jusqu'à jouer avec la limite de la patience ce qui est à la fois risqué et habile. Il détourne l'attention par son procédé, décale le regard, pique de l'humour dans le drame et inversement, nous force sans cesse à remettre en question notre habitude. 

Valérie Dréville lit des extraits d'écrits d'Hélène Bessette, notamment sur le suicide, et là encore les opposés s'attirent ; la légèreté, le drame... Tout peut paraître absurde comme une loupe posée sur les inconscients de chacun, ou les rêves mêlés de leurs propres sens, se révèlent à qui veut. Un homme animal utilise une poule comme mitraillette, Marlène essaye d'accrocher une boule de noël à un arbre invisible, le jeune homme prend de la lumière dans ses bras, et Valérie lit... Les comédiens se mêlent à nous et l'on se prend à avoir envie d'aller jouer avec eux. C'est là qu'est la force du travail d'Yves-Noël Génod, nous faire croire qu'il nous attire dans son monde, alors qu'il essaye de nous révéler le notre.


photo François Stemmer


Dans l'encadrement d'une porte des choses semblent se passer derrière, comme dans la vie, les spectacles d'Yves-Noël Génod se ressemblent et sont toujours différents. Ils sont comme des bulles de savon oniriques que l'on suit des yeux en se demandant quand elles vont éclater, pour finalement nous laisser des traces d'émerveillement. 

Voilà c'est une histoire d'ambiance plus qu'une histoire à suivre, avec des tonnes de surprises, venez prendre vos deux heures de Génod, il s'occupe de vous personnellement, en vous faisant vous occuper de vous personnellement... ça vous fera un peu d'air dans ce monde de brutes...


jeudi 14 juin 2012

Ma chambre froide - Pommerat

Reprise au théâtre de l'Odéon (Ateliers Berthier) de l'excellente pièce de Joël Pommerat "Ma chambre froide" jusqu'au 24 juin.

Lire ici la critique que j'ai écrite lorsqu'elle a été joué la première fois : ICI

jeudi 7 juin 2012

My Secret Garden - Richter - Nordey

Reprise au théâtre du Rond Point du 7 au 24 juin de l'excellent spectacle de Falk Richter et Stanislas Nordey "My Secret Garden" qui a été présenté au festival d'Avignon en 2010.

Je vous le conseille vraiment, c'est une création très contemporaine et brillamment jouée.

La chronique de l'époque est à lire ICI

jeudi 24 mai 2012

Les Quatre Jumelles - Copi - Rabeux

texte de Copi, mis en scène par Jean-Michel Rabeux
avec Claude Degliame, Georges Edmont, Marc Mérigot et Christophe Sauger
Scénographie, costume et maquillages Pierre-André Weitz
jusqu'au 23 juin au théâtre de la Bastille

Cela commence dans une arène construite pour cette mise en scène, les spectateur encerclant une petite scène constituée d'une boule de lumière et d'un socle géant. En sortent, telles des vers luisants tapis à la sortie de la lune, deux jumelles de blanc vêtues. Tout de suite elles veulent se droguer pour sûr, ce sont des travestis, pour sûr, elles sont hystériques et meurtrières ou suicidaires, on ne sait plus, pour sûr, nous sommes dans Copi jusqu'au cou. Bientôt rejointes par deux autres jumelles, identiquement vêtues, toutes prêtes à se droguer, à s'entre-tuer, à voler de l'argent, à mourir dignement et surtout à s'insulter copieusement... 

La scène en rond, comme le texte tourne en rond, la situation inextricable, sont-elles quatre vraiment ou une seule ? Elles se tuent vraiment, et ressuscitent, elles se droguent vraiment, et veulent mourir pour de bon... Est-ce un jeu ? Rapidement, bien sûr tout devient oppressant et répétitif, comme un reflet des effets de la drogue et de la solitude. Aujourd'hui faut-il rappeler qui était ce génie de Copi, Argentin exilé en France, homosexuel, drogué, fuyant les fascistes de son pays, mourant du sida dans les années 80, peu monté encore car tellement déjanté et borderline, qu'il fait souvent peur ? Bien sûr Jean-Michel Rabeux qui l'a connu, est le metteur en scène voué à le jouer sans trop le trahir, tant ils partagent le baroque et le goût pour la douce provocation. 

Le public est perplexe, certains rient aux éclats, d'autres se regardent consternés, quelques uns sortent une fois qu'ils réalisent qu'il ne se passera rien "de plus" que cette folie amère qui tourne et triture les méninges. Copi met mal à l'aise forcément, il appuie là où ça fait mal, avec fracas, et rire démoniaque. On passe une heure affriolante, au rythme des meurtres et des cris, les comédiens sont parfaits, leurs rôles semblent avoir été cousus sur mesure, comme leurs costumes. C'est justement ce qui a fini par m'ennuyer, aucune surprise finalement, du grand Copi, du bon Rabeux comme on l'attendait, travesti et maquillage, sans contre pied, sans ironie, où la répétition passe un peu à coté du comique. J'aurais peut-être rêvé quelque chose de jamais vu, un Copi sans paillettes, plus sobre, pour tenter l'expérience audacieuse d'y entendre son texte autrement.

Spectacle à voir bien sûr, pour le talent de tous ces protagonistes, et le plaisir du théâtre du corps et du sang.

Claude Degliame / Christophe Sauger

lundi 21 mai 2012

Temps - Mouawad

Texte et mise en scène Wajdi Mouawad
avec Marie-Josée Bastien, Jean-Jacqui Boutet, Véronique Côté, Gérald Gagnon, Linda Laplante, Anne-Marie Olivier, Valeriy Pankov, Isabelle Roy
Théâtre de Chaillot jusqu'au 25 mai 2012

Difficile de se prononcer sur ce dernier opus du très talentueux Wajdi Mouawad. A priori j'aime beaucoup son travail, j'ai adoré la trilogie "Incendies, Forêt, Littoral", et beaucoup aimé "Ciels"... Nous sommes ici toujours dans la grande épopée familiale, dans les secrets qui se révèlent au fur et à mesure, les drames de chacun qui deviennent les troubles de tous, par les liens qui les unissent... Nous avons encore au menu la tragédie tragédienne, la noirceur de l'âme humaine, ses contradictions, ses amours absolues... 

Noëlla de la Forge, muette suite à l'immolation de sa mère, provoquée par la révélation de l'inceste entre le père et l'enfant, décide de convoquer ses frères, afin de statuer sur l'héritage, le père étant mourant. Le décor est planté, nous sommes en pleine sinistrose, les ingrédients Mouawadiens cités plus hauts sont tous regroupés, sans presque de surprise. Les comédiens sont bons, la scénographie efficace. Le rythme en revanche est à la fois oppressant et un peu lent parfois. Noëlla étant muette, elle est traduite par une interprète en langage des signes, et l'un des frères est russe, traduit par son amie. Il y a du coup parfois deux traductions à la suite ce qui ralenti les échanges. Certaines fois cela tombe bien, car un rythme étrange s'installe, un suspens, un temps mort, et d'autres c'est pesant. 

photo Yann Doublet

Je passe sur l'histoire qui est ce qu'elle est, pour le coup elle ne m'a pas passionnée. Le point primordial je pense de cette pièce, c'est le traitement de l'inceste et de la folie du père. Sur cela je suis mitigée. 

D'un côté j'ai trouvé l'auteur efficace, ne laissant aucun répit au spectateur, ne lui épargnant aucun détail, aucune abomination, tout en maintenant un aspect de pitié sur ce père malade... Le jeu psychologique est assez fort et l'ambivalence que l'on peut ressentir, nous manipule au bon sens du terme. La musique de Bertrand Cantat nous met mal à l'aise juste ce qu'il faut sur le sentiment de juger un monstre ou de voir le fou artiste créateur dans son art (le père incestueux est un poète génial). Nous avons matière à réflexion, et des scènes poignantes. 

D'un autre côté, j'ai vraiment été choquée, comme je peux l'être par Lars Von Triers parfois, par l'acharnement dans le malheur, dans la provocation, dans le jusqu'auboutisme du sinistre. Même si Mouawad nous offre une fin salvatrice, je ne suis pas sûre que les masturbations du père étaient indispensables. Je crois que j'aurais voulu un peu plus de pudeur, et de subtilité, mais ce voeu pieu ne s'associe pas vraiment au style et au but que poursuit l'auteur il me semble, dans cette pièce. Aussi je reste assez partagée, je crains que Mouawad n'aille trop loin, ou ne devienne une parodie de lui-même, à force d'enfoncer un clou déjà bien entamé, dans le portrait parfois atroce des âmes. Je le préfère optimiste et créateur comme dans "Ciels". 

mercredi 28 mars 2012

Notre Printemps - Das Plateau


"Notre Printemps" par le collectif Das Plateau

texte Jacques Albert, mise en scène Céleste Germe, musique Jacob Stambach

avec Maëlys Ricordeau, Hadrien Bouvier, Denis Eyriey, Jacques Albert et Gaëtan Brun-Picard


Ce qui m'a tout de suite plu dans ce projet, c'est le mélange des styles. On commence par une nappe sonore, on enchaîne avec un film, on glisse vers de la danse, on a presque fini avec du théâtre et on termine par de la performance. Le collectif Das Plateau est constitué d'un auteur, d'une metteur en scène, d'une comédienne et d'un créateur de musique. Ils se mélangent, créent, proposent et voici leur dernière création "Notre Printemps". L'idée est belle, le projet ambitieux et ils relèvent le défi avec audace.

L'histoire d'Hélène et Pierre, un jeune couple amoureux, qui a un bébé, des amis, une maison... Et puis un jour Pierre tombe malade, c'est une épreuve. Apparemment il s'en remet... Et puis un jour Pierre meurt. C'est l'histoire du film, esthétique années 70, comédiens fougueux et frais, mise en scène douce, précise et tendre.

Au retour plateau une danse assure la transition avec le théâtre. C'est un beau moment, la création musicale s'épanouit au rythme des pas et des mouvements, comme une respiration, et pourtant nous retenons encore notre souffle, car notre gorge est serrée. L'histoire qui s'est déroulée est si triste.

Le théâtre maintenant, et le jeune couple ainsi que le frère du jeune homme autour d'une table, boivent un verre, l'air de rien... Et puis au fil de la conversation, on entend une possibilité d'explication de toute l'histoire. C'est une grille de lecture, mais il y en a d'autres... Le jeu sur la mort, le passé, le présent, et le fait de savoir...


C'est bien joué, les comédiens sont attachants et justes, et le canevas du projet est réussi. La danse et la performance du dernier tableau m'ont parlé, m'ont émue. J'aime aussi énormément la musique, qui est plus que cela, une vraie enveloppe sensorielle. On est touché par leur jeunesse et leur fraîcheur tout au long du spectacle, et il y a une grande maîtrise de l'ensemble, ça se tient.


Maintenant j'en ressors aussi avec des questions quant à la dramaturgie qui me semble-t-il, nous perd un peu en route. A trop vouloir suggérer, on ne sait plus très bien ce qu'ils veulent dire. Nous avons presque les éléments du tragique, mais il nous manque un dénouement qui soulagerait les tensions dans ce cas, ou bien un parti pris clair car les thèmes sont trop foisonnants. L'esthétisme 70's est ravissant mais peu crédible et surtout paraît gratuit. Mais le travail n'en est pas moins touchant et émouvant. Ils semblent présenter des thèmes qu'ils n'ont eux-mêmes pas vécu (un enfant, la maladie du conjoint et sa mort, les années 70...) ce qui rassemble leur projet autour du fantasme, et c'est peut-être ce qui me laisse perplexe, le survol. La temporalité est explosée ce qui est une belle tentative, mais du coup les thèmes abordés n'en semblent qu'effleurés, et on risque de rester dans l'illustration.


C'est le risque intrinsèque que prend un collectif, la dilution du propos. A côté de ça, pour un ensemble de voix justement, je trouve qu'ils ont réussi une unité de style, une ambiance, une couleur, et surtout l'envie de multiplier le champ créatif, et cela aussi c'est à saluer et encourager.


Au théâtre de Gennevilliers jusqu'au 1er avril 2012

samedi 24 mars 2012

Pré-Programme Avignon 2012

Vous pouvez découvrir ici le pré-programme du In du festival d'Avignon 2012 :


Avec quelques créateurs que j'aime beaucoup comme Marthaler, Steven Cohen, Josef Nadj, Ostermeier entre autres...

vendredi 23 mars 2012

Se Trouver - Pirandello - Nordey


"Se trouver" de Luigi Pirandello, mis en scène par Stanislas Nordey


avec Emmanuelle Béart, Claire Ingrid Cottanceau, Michelle Demierre, Vincent Dissez, Raoul Fernandez, Marina Keltchewsky, Frédéric Leidgens, Marine de Missolz, Laurent Sauvage, Véronique Nordey et Julien Polet.


au théâtre de la Colline jusqu'au 14 avril 2012


"Se trouver" est une oeuvre importante de Pirandello : cette pièce met en scène une comédienne, prise entre les réalités de son métier et ses désirs de vie. C'est un texte très dense et qui oscille entre accessibilité et obscurité. D'un côté des conversations ordinaires sur le thème être actrice et "jouer" ou "vivre" ses rôles, ressentir ou non les émotions des personnages, le défi de se "trouver" soi-même parmi le foisonnement des compositions. D'un autre côté des réflexions intenses partagées entre cette actrice et celui qui tentera de la faire exister en dehors de son art : son amour Ely. Ce thème autant philosophique qu'artistique est qui est sans doute à débattre à l'infini et à vivre d'autant de manières qu'il y a d'hommes, n'en est pas moins passionnant. Où sommes-nous quand on créée et "qui" créée finalement ? Et bien entendu comment se trouver dans tout cela, soi et par rapport aux autres ?


Donata la comédienne (littéralement "Donnée") traverse cette recherche au cours de la pièce. Celle qui se donne entièrement à son art, à ne plus s'appartenir, ne plus avoir de vie à elle, être un objet pour les autres, une image... tente soudainement d'exister lorsqu'elle rencontre Ely, artiste peintre, libre et sans attache. Seulement celui-ci refusera son don au théâtre et souhaitera qu'elle se donne à lui. Ici la réflexion philosophique de l'art se confronte à la sociologie, comment une femme peut-elle s'émanciper (années 30, années du texte) et à la psychologie plus largement, comment exister aussi dans l'amour d'un autre ? L'amour, que cela soit d'un art ou d'un autre, rend-il libre ou aliène-t-il ?


Autant de pistes, d'envie de se triturer les méninges, à la manière d'une introspection artistique, font que l'on peut regarder la pièce en réfléchissant. Et cela comporte les défauts de ses qualités... On décroche parfois, surtout lorsque le texte devient tortueux. Du reste l'interprétation est excellente, Emmanuelle Béart correspond très bien au rôle, elle est juste dans son jeu, et la mise en scène de Stanislas Nordey, toute en frontalité comme souvent, est grandiloquente et élégante. C'est propre et presque scolaire, j'ai personnellement regretté le manque de "corps". Même si Vincent Dissez tente d'en donner et si Emmanuelle Béart est une actrice charnelle, le tout reste très intellectuel. Je m'étonne car je trouve que Stanislas Nordey est un comédien physique et qui n'hésite pas à recruter des comédiens qui le sont aussi (notamment Laurent Sauvage...) mais ici il fige le tout, comme s'il craignait que le propos ne se disperse et qu'il voulait nous concentrer sur les mots. Cela fonctionne et cela permet en effet de bien entendre l'auteur. Mais pour une pièce comme celle là, où il est tant question de vivre dans son corps, de désirer, de vouloir posséder l'autre, et même qui tente parfois des audaces sensuelles dans les mots, je trouve que c'est resté trop cérébral. C'est une frustration plus qu'une véritable critique, une envie que le travail de Nordey se "salisse" un peu, et qu'il devienne alors assez incontournable.


A voir pour l'efficacité.


Photo Elisabeth Carecchio

mercredi 14 mars 2012

La Confusion - Nimier - Prugnaud


Texte de Marie Nimier, mis en scène par Karelle Prugnaud

avec Xavier Berlioz et Hélène Patarot, musiciens Fabien Kanou et Bob X

au théâtre du Rond Point jusqu'au 7 avril


Un bien surprenant tapis de peluches multicolores et une femme étendue en son coeur, dont la fumée de la cigarette emplit l'air, apparaissent après l'introduction faite par Karelle elle même. Une femme qui se perd dans ses réflexions et qui nous emmène au fil des ans... Elle se souvient, elle a vécu avec sa mère et un beau-père, un chien Kiki, et le fils de son beau-père... Un presque frère, tout sauf un frère... Une femme amoureuse, une femme qui semble agitée du cibouleau, qui gobe des médicaments et repasse ses peluches en même temps que ses souvenirs. Un petit bout de femme que cette Hélène Patarot, surprenante, émouvante, détonnante. Puis des hommes-chiens en cages sont lâchés sur le plateau, en costume de scène, ils déambulent au rythme de leurs cris. Les mises en scène de Karelle Prugnaud sont toujours un peu dans l'humaine ménagerie, un théâtre performance, qui lie les genres, musique à fond, fards et mots, talons compensés et hommes maquillés, une explosion de couleurs qui tutoie aussi parfois l'univers manga.


Au grès des échanges entre Sandra et Simon, deux enfants élevés ensemble mais pas frères et soeurs, dont on découvre la passion ravageuse, impossible, qui les a détruit tous les deux au fil de leurs vies ratées... La mise en scène fourmilles d'idées et de rebonds, à la lisière comme est le texte, de la folie et de la perte. Le public parfois un peu âgé du Rond Point semble perplexe et c'est assez jouissif. Beaucoup d'images plastiques, parfois X, de poses arts plastiques et de musique électrique, c'est le théâtre magique de Karelle Prugnaud. Le texte est sublimé, et autant parfois les mise en scènes manquent d'idées, autant celles de Karelle Prugnaud n'en manquent pas, il faut même trier un peu, s'approprier les messages et découvrir comme dans un coffre à jouets trop plein, ceux qui résonnent en nous. De bons comédiens, une histoire poignante, le tout dans un melting pot de sensations et de couleurs...


Un bonbon acidulé à voir au Rond-Point encore jusqu'au 7 avril 2012.

Un article sur Un soir ou un autre


Photo Giovanni Cittadini

mercredi 8 février 2012

Nous avons les machines - Chiens de Navarre


Une création des Chiens de Navarre, mis en scène par Jean-Christophe Meurisse

avec Maxence Tual, Manu Laskar, Thomas Scimeca, Jean-Luc Vincent, Anne-Elodie Sorlin, Céline Fuhrer, Robert Hatisi, Caroline Binder



Il est fort difficile, voire impossible, de parler d'un spectacle des Chiens de Navarre sans en dévoiler le contenu. Or les effets de surprise sont fort importants dans leurs dispositifs scéniques, même si l'on retrouve malgré tout, une sorte de formule qui en fait leur marque de fabrique. Cela dit au regard du nombre d'articles parus sur ce dernier spectacle, certains d'entre eux ont été dévoilés.


Tout d'abord l'harangue au public, lorsque nous entrons dans la salle, les comédiens culs nus et masqués nous interpellent depuis les loges. Cela pose une sorte de décor de base, une ambiance nous dirons... A peine assis nous rions déjà et le décalage avec ces personnages mi nus qui nous souhaitent la bienvenue ou nous agressent, ou encore tentent de nous éduquer, établissent un rapport comédiens / public qui nous porte immédiatement à réfléchir sur notre position. Que venons nous voir, et qui et pourquoi et encore... où ? L'obscène est là, au sens de la marge de la scène, de ce qui est "regardable" ou pas.


Ensuite leur fameuse table et la réunionite aigue qu'ils malmènent depuis plusieurs spectacles, l'humain parle à l'humain en vue de lui organiser sa vie dans sa société. Un regard encore une fois croisé sur ce qui peut nous réunir, autour d'une table, ou pas. Cette fois il s'agit de plusieurs associations humanitaires, un projet commun avec la mairie et tous les clichés y passent. Jongler avec les clichés qui ne sont jamais qu'une exagération d'une chose méconnue, comme le grotesque l'est d'une chose vraie, nous ramène au plus près de ce que nous ne voulons plus voir. Ou de ce qui nous brûle les yeux tous les jours. D'ailleurs cette fois là, ça leur a bien explosé au visage (et paf un doigt en moins Thomas...).



Nous prenons ensuite une navette à travers l'espace temps et allons voir si les clichés se portent toujours aussi bien sur Pluton en 2312... ou quelque chose d'avoisinant. Qu'on soit à St Martin en Brie ou dans le cosmos avec les petits hommes verts, les chefs sont toujours des trous du culs. Tour de force du comédien Maxence Tual, brillant du début à la fin, qui n'hésite pas à plonger corps et âme dans son rôle, offrant son corps à tous, audience et personnages qui le dévorent.


Bref, ici tout est rassemblé : le corps, le monde, la politique, le sexe, la vie, la mort, l'art... tout ce qui nous unit ou nous sépare, le théâtre le plus vivant qui soit, celui qui d'adresse à la vie qui est en nous, pour peu qu'il en reste. Et d'accepter de se faire secouer, mise en abîme abîmée sur le plateau de ce que sont nos âmes endormies, malmenées, saoules des carcans et de ses dirigeants, que cela soit de l'ordre établi comme de l'habitude sociale qui nous assomme. Les Chiens de Navarre ont ce don de faire des allers retours constants entre situations réelles et imaginaires, jouant au tennis avec notre cerveau, en espérant que quelque chose en sorte. Au mieux, une révolution ? Au moins un état des lieux...


La scène d'anthropophagie m'a fait penser à celle des "Souffrances de Job" d'Hanokh Levin mise en scène par Laurent Brethonneaux à l'Odéon, ou peint et nu, Job est sacrifié tel le Christ, sur l'autel de l'humanité. Magnifique...


En sortant on se demande si les Chiens de Navarre qui sont pour moi devenus des incontournables du théâtre contemporain, à la frontière même de la performance d'ailleurs, pourront aller plus loin que cet opus, car ici on n'est pas loin du dépassement de bornes, c'est ce qui les rend géniaux.


A voir :

LA :

du 26 au 28/01 à la Maison des Arts de Créteil

du 1er au 4/02 au Centre Pompidou Paris

du 8 au 9 /02 au Théâtre de Vanves

du 6 au 12/04 au Théâtre de Gennevilliers LIEN ICI

www.chiensdenavarre.com