lundi 8 novembre 2010

C'est comme ça et me faites pas chier - Garcia

photo Christian Berthelot

texte et mise en scène Rodrigo Garcia
traduction française Christilla Vasserot
musique Daniel Romero Calderon
avec Melchior Derouet, Nuria Lloansi et Daniel Romero Calderon
du 5 au 14 novembre au théâtre de Gennevilliers

Le public entoure la scène, disposé en U tout autour et au fond, un écran géant est installé. Sur le plateau des dizaines de cymbales et percussions sont réparties un peu partout, une moquette de gazon dans un coin, un fauteuil appuyé sur une montagne de livres... On reconnaît l'espace parsemé d'objets de Rodrigo Garcia. Un jeune homme d'une blondeur platine embrasse presque en souffle une jeune femme, assis sur un fauteuil posé sur les livres. Puis il commence un monologue intérieur, qui pourrait être des pages d'un journal intime ou des réflexions personnelles sur ce qui l'inspire ou au contraire le dés-inspire. Désabusé légèrement cynique, on n'est pas dépaysé du style Garcia, et son regard acerbe sur notre monde d'aujourd'hui.

"faire confiance aux mots et jamais à ce qui s'agite autour..."

Des déambulations imaginaires sur la littérature, tout en étant assis sur des livres, dans un premier temps et notre personnage blond angélique semble être un avatar de l'auteur... et puis l'on comprend que le narrateur est aveugle. Quel regard porte un aveugle sur le monde ? Un regard noir...

"Explique moi pourquoi tu te sens heureux ? Sans la question sur le bonheur, le bonheur n'est rien..."

Au fil de ses réflexions qui font parfois écho à nos propres moments sombres, on se laisse bercer et l'on suit les jeux étranges de la jeune femme, comme écho à son tour de ses pensées. Elle marche avec des cymbales aux pieds, joue avec des petits jouets automatiques, mange le t-shirt du jeune homme, ou encore se transforme en chenille en enfilant un sac de couchage recouvert de grelots.

"Froid c'est mieux que chaud, plaisir c'est mieux que vérité... " s'égraine une liste de "mieux" comme celles que l'on faisait enfant, entre rêverie de perfection et envie de devenir. Ce Petit Prince qui aurait grandi et serait devenu non voyant, se lève et circule hésitant dans le décor comme nous finalement dans la vie, dans un monde dont nous n'avons qu'une partie des codes.

La jeune femme filme parfois ses jeux qui sont projetés sur le grand écran, parabole de ce monde tout en décalé avec le réel, sans cesse soumis à l'image. Et puis elle se défoule tant bien que mal en se jetant sur les livres, comme s'ils ne servaient à rien au final, ou en tapant sur les cymbales, écho aux bruits du monde.

"Pour connaître de combien de sens avons nous besoin ?"

Et si on voyait aussi bien quand on ne voit pas ? Le texte est d'une grande richesse et l'on ne peut tout saisir, notre attention détournée sans cesse par le musicien ou la jeune femme, des morceaux d'idées et de paroles nous viennent et nous recomposons cet étrange tableau avec nos sensations et nos images. Et elles sont multiples les images à tiroirs chez Garcia, comme la dernière avec la jeune femme allongée au bord de la mer, une plage de sable et une eau de détergent, récréées sur le plateau. Tout est donc construit de toutes pièces dans cet univers que nous ne percevons que par bribes ? Et le grand blond hésitant se rappelle d'un temps où il voyait et où il s'était perdu dans une fresque de Masaccio représentant l'Eden, et comme avec ses yeux d'enfant pour lui le Paradis c'était le désert. Retour au Petit Prince ?

Il faudrait voir et revoir cet étrange objet de Garcia, qui a un titre bien plus agressif que son contenu pour une fois, sans être assuré pourtant d'en saisir tous les mystères, les allusions et les chemins quasi philosophiques empruntés par ces personnages dont l'âme d'enfant aurait grandi trop vite.

"Rêver c'est mieux"...

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