Texte et mise en scène Wajdi Mouawad
avec Marie-Josée Bastien, Jean-Jacqui Boutet, Véronique Côté, Gérald Gagnon, Linda Laplante, Anne-Marie Olivier, Valeriy Pankov, Isabelle Roy
Théâtre de Chaillot jusqu'au 25 mai 2012
Difficile de se prononcer sur ce dernier opus du très talentueux Wajdi Mouawad. A priori j'aime beaucoup son travail, j'ai adoré la trilogie "Incendies, Forêt, Littoral", et beaucoup aimé "Ciels"... Nous sommes ici toujours dans la grande épopée familiale, dans les secrets qui se révèlent au fur et à mesure, les drames de chacun qui deviennent les troubles de tous, par les liens qui les unissent... Nous avons encore au menu la tragédie tragédienne, la noirceur de l'âme humaine, ses contradictions, ses amours absolues...
Noëlla de la Forge, muette suite à l'immolation de sa mère, provoquée par la révélation de l'inceste entre le père et l'enfant, décide de convoquer ses frères, afin de statuer sur l'héritage, le père étant mourant. Le décor est planté, nous sommes en pleine sinistrose, les ingrédients Mouawadiens cités plus hauts sont tous regroupés, sans presque de surprise. Les comédiens sont bons, la scénographie efficace. Le rythme en revanche est à la fois oppressant et un peu lent parfois. Noëlla étant muette, elle est traduite par une interprète en langage des signes, et l'un des frères est russe, traduit par son amie. Il y a du coup parfois deux traductions à la suite ce qui ralenti les échanges. Certaines fois cela tombe bien, car un rythme étrange s'installe, un suspens, un temps mort, et d'autres c'est pesant.
photo Yann Doublet
Je passe sur l'histoire qui est ce qu'elle est, pour le coup elle ne m'a pas passionnée. Le point primordial je pense de cette pièce, c'est le traitement de l'inceste et de la folie du père. Sur cela je suis mitigée.
D'un côté j'ai trouvé l'auteur efficace, ne laissant aucun répit au spectateur, ne lui épargnant aucun détail, aucune abomination, tout en maintenant un aspect de pitié sur ce père malade... Le jeu psychologique est assez fort et l'ambivalence que l'on peut ressentir, nous manipule au bon sens du terme. La musique de Bertrand Cantat nous met mal à l'aise juste ce qu'il faut sur le sentiment de juger un monstre ou de voir le fou artiste créateur dans son art (le père incestueux est un poète génial). Nous avons matière à réflexion, et des scènes poignantes.
D'un autre côté, j'ai vraiment été choquée, comme je peux l'être par Lars Von Triers parfois, par l'acharnement dans le malheur, dans la provocation, dans le jusqu'auboutisme du sinistre. Même si Mouawad nous offre une fin salvatrice, je ne suis pas sûre que les masturbations du père étaient indispensables. Je crois que j'aurais voulu un peu plus de pudeur, et de subtilité, mais ce voeu pieu ne s'associe pas vraiment au style et au but que poursuit l'auteur il me semble, dans cette pièce. Aussi je reste assez partagée, je crains que Mouawad n'aille trop loin, ou ne devienne une parodie de lui-même, à force d'enfoncer un clou déjà bien entamé, dans le portrait parfois atroce des âmes. Je le préfère optimiste et créateur comme dans "Ciels".
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