d'après Les Oiseaux de Tarjei Vesaas,
mise en scène Claude Régy
avec Laurent Cazanave
à la Ménagerie de Verre du 13 décembre 2010 au 29 janvier 2011
On rentre dans une telle pénombre que les ouvreuses chuchotent inspirées par l'ambiance tamisée. On distingue un plateau noir brillant, et l'on est enfin plongé dans un noir total au début du spectacle. Et puis il entre. Fait quelques pas, le temps s'allonge, on est bien dans un spectacle de Claude Régy. Il traverse le plateau, une lumière très douce s'élève, on le distingue, un dispositif ingénieux nous cache l'origine des faisceaux qui éclairent. Des couleurs rosées, orangées, se reflètent sur les parois restées blanches du bord de scène. On peut écouter notre propre respiration et se prendre à rêver. Se poser un peu... quelques sons s'élèvent aussi, comme un velouté, une ambiance un peu inquiétante.
Et puis ce jeune homme doux qui déambulait se trouve devant nous et il parle. Sa voix est immédiatement étrange, son élocution particulière. Entre chant et décortication des mots, rien de commun en tout cas, il pose chaque syllabe et nous invite ainsi à entrer dans une sorte de balancement délicat des phrases. Il raconte, Mattis et sa soeur Hege, qui vivent au bord du lac. Mattis que l'on comprend "différent", un peu ralenti peut être, un peu rêveur, qui part à la pêche dans une barque qui prend l'eau. Le ton est parfois espiègle, parfois tellement étrange que l'on sent la particularité du personnage. Et la lenteur de l'élocution donne à penser. Nos pensées, car c'est cela la magie de Régy, c'est que l'on s'approprie l'espace et le temps. Tout est ici prétexte à notre propre investigation. Ceci est support à notre imagination, miroir de nos émotions, élasticité des tensions sur lesquelles rebondissent nos soupirs.
Alors pas à pas on suit les aventures de Mattis, suspendu au souffle du comédien, à ses yeux fixes et à ses pas mesurés. Lorsqu'il est au bord du plateau, les pieds à demi dans le vide, les mains en l'air mimant son désespoir soudain, nous sommes nous-mêmes au bord du gouffre. Claude Régy s'adresse directement à notre inconscient et c'est en cela sa force, c'est aussi ce qui dérange tant et qui provoque ces impatiences. Pas évident de se voir ainsi, même si rien ne parle de nous dans le texte, tout parle de nous dans tout. La parole qui ne ressemble à rien, les gestes qui ne ressemblent à rien, tout frôle l'abstrait, la poésie ultime, le non sens qui fait le plus sens, notre inspiration profonde.
Merci monsieur Régy d'être dans les plus contemporains et les plus modernes des metteurs en scènes, d'être de ceux qui continuent à chaque spectacle à prendre autant de risques pour essayer de s'approcher du sublime, à force de polir la pierre avec patience et exigence. Quelle respiration dans ce monde qui court à sa perte à force de s'étourdir de facilités...
A voir et à revoir à la Ménagerie encore jusqu'au 29 janvier 2011...
photo Brigitte Enguerand
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