jeudi 24 juin 2010

Un efficace Combat de Nègre et de chiens

"Combat de Nègre et de chiens"
de Bernard-Marie Koltès
Théâtre de la Colline du 26 mai au 25 juin 2010
Mise en scène Michael Thalheimer
Avec : Jean-Baptiste Anoumon, Cécile Coustillac, Claude Duparfait et Charlie Nelson.
Le Chœur : Alain-Joël Abie, Bandiougou Baya, Kaba Baya, Thomas Durcudoy, Kalifa Gadenga, Franck Milla, Paul Angelin N’Gbandjui, Henri Nlend, Abdourahman Tamoura et Camille Tanoh.
Scénographie Olaf Altmann


Le rideau se lève sur un plateau transformé en immense boite de métal, rappelant les murs préfabriqués des cabanes de chantier. Une rambarde en fait le tour et le sol descend en contrebas. On ressent tout de suite une sensation de vertige. Dans l’obscurité de la première scène, on distingue à peine des ombres debout, une femme assise, un homme en bas.


(photo du livret Elisabeth Carecchio)

Un autre dans la lumière patiente en sirotant un whisky. C’est Horn, chef de chantier qui attend que sa future femme fraîchement débarquée de Paris dans cette Afrique mystérieuse, défasse ses valises et lui livre ses premières impressions.
Il s’impatiente et perçoit dans le noir, une silhouette qui observe. C’est Alboury, l’africain, venu récupérer le corps de son frère, tué sur le chantier. Quand Alboury parle, un chœur d’hommes « africains » parlent avec lui, ils sont dix, sur le plateau, ils sont mille dans les cœurs. Le résultat de toutes ces voix d’hommes sourdes et profondes et magnifique. Toute l’Afrique s’exprime en Alboury, tous les peuples qui ont « froid ». On est saisi par la simplicité et l’efficacité de l’image… La parole magnifique de Koltès, devient essentielle… Alboury expose, explique pourquoi il lui est si indispensable de récupérer ce corps, comment ils se tiennent chaud, eux qui malgré l’Afrique, ont si froid. Et Horn tente de comprendre, à demi. Horn qui d’un autre côté, doit s’occuper de celui qui a tué, Cal, joué ici par Claude Duparfait, exceptionnel (il a repris le rôle en 4 jours après la blessure de Stefan Konarske initialement programmé).
Cal l’ouvrier amoureux de son chien, qui ne peut pas s’empêcher de tirer quand il sent une menace, de vider la gachette et de traîner le corps encore et encore, pour soulager ce qui le brûle en dedans.

Et puis soudain Léone, la promise d’Horn, sort de sa chambre et découvre Cal, qui la malmène, lui montrant son désir d’homme trop longtemps esseulé. Puis elle rencontre Alboury et tombe amoureuse de lui, de sa différence, de son âme au delà des cultures. La comédienne se peint tout en noir et se jette à corps perdu sur cet homme, venu chercher le cadavre de son frère.
Le texte est magnifique, chaque être semble dans une profonde solitude, thème cher à Koltès, la confrontation des humains appartenant à des univers si différents et qui pourtant se côtoient, dépendant les uns des autres.

La mise en scène de Thalheimer est d’une redoutable efficacité, tout est épuré et direct, précis comme cette écriture sans fard. Les comédiens sont exacts et fougueux et Claude Duparfait réalise une belle performance, apporte ce qu’il faut de folie et de malsain.

Couvert de boue, Cal finit par se faire tuer par Alboury craignant pour sa peau. Horn fou de colère contre Léone la repousse alors qu’elle tente de se tuer, rejetée par Alboury. Finalement personne ne se sera compris car, on le sait c’est d’une douce utopie. On peut vivre les uns contre les autres et être encore plus étranger à soi-même. Chacun fait comme il peut avec sa propre folie, et essaye de se faire entendre de l’autre, sans y parvenir. Au-delà de l’Afrique cette pièce nous parle de nous-mêmes, et de notre rapport à l’autre. Et ce n’est pas un texte sur la tolérance ou l’immigration, mais qui met en lumière la réelle impossibilité de se comprendre. Mais peut-être est-ce en observant cela que l’on peut finalement parvenir à s’accepter.

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