mardi 29 juin 2010

Portrait : Les chiens de Navarre, collectif mis en scène par Jean-Christophe Meurisse.

Début d’après-midi, petit café à Bastille, je retrouve Jean-Christophe Meurisse accompagné d’Anne-Elodie Sorlin pour en savoir un peu plus sur leur travail, leur démarche, et dresser un petit portrait de ce collectif bien singulier.

Des amis dont le travail évolue ensemble…

A l’origine un groupe d’amis, qui se connaissent maintenant depuis une quinzaine d’années, réunis autour de Jean-Christophe Meurisse et de ses écrits, et puis rapidement, une autre forme s’impose : «Un jour pendant une répète j’ai demandé à deux comédiens d’improviser autour du texte, et c’est parti de là... La troisième création qu’on a faite s’est montée d’après mon écriture, mais plus du tout figée, les acteurs improvisaient...» Le travail évolue donc au rythme des répétitions, Jean-Christophe apporte une idée, un désir, une matière et quelques accessoires, parfois un peu d’écrits et cela se construit autour « on se connaît depuis longtemps, on a des goûts en commun, on ri des mêmes choses, on a les mêmes envies, mais malgré tout chacun a un égo, mais à un niveau intelligent et comme on se connaît bien, on ne se blesse pas… ». Le résultat donne un troublion de pièce, aux voix multiples et d’une grande drôlerie, qui décrit si admirablement notre vie de tous les jours, grincements de dents compris.

Le texte devient accessoire, l’acteur créateur placé au centre du projet.

Une véritable envie de mettre l’acteur au centre de la création et non plus comme interprète d’un texte. «C’est aussi donner la possibilité à l’acteur de venir avec son regard critique sur le monde, avec sa pensée, et ça devient sa matière première pour travailler.» rajoute Anne-Elodie. Cela devient un dispositif artistique, une position de l’artiste dans sa performance. «Un travail d’acteur qui a une conscience ne peut se faire que sans texte (...) cette liberté ne peut exister que dans un endroit où il n’y a pas d’écriture figée.» continue Jean-Christophe, «même si j’aime le texte et la poésie, mais le texte devient un accessoire comme un autre dans le spectacle. »

Bien sûr les créations des Chiens de Navarre sont pleines de paroles et les comédiens d’expriment sans cesse, il ne s’agit pas d’un travail éloigné du langage au contraire. Mais la parole s’est appropriée et ainsi en devient d’autant plus vivante. Ils utilisent également le gimmick de la répétition, comme un retour de l’idée systématique. Et là nous comprenons que malgré l’immédiateté qui nous semble si naturelle dans leurs échanges, nous ne sommes plus dans un travail d’improvisation. « C’est une amie qui m’avait dit cette phrase de Karl Marx qui m’a vraiment marqué : l’histoire ne se répète pas, elle bégaie, la répétition c’est un truc qui revient souvent dans nos créations, la machine qui s’enraye… » explique Jean-Christophe et cela fonctionne parfaitement, surtout que les thèmes abordés sont éminemment politiques, sous des couverts de conversation de la vie quotidienne.

La matière de la conversation, du rythme et de l’espace

« Nous utilisons la matière des conversations ordinaires, vides, creuses, qui transpirent plein de choses… des peurs… mais de ce fait il s’opère une identification, chacun s’est retrouvé aussi dans ces situations. On aime cette matière ordinaire, le vide, le rien… le cliché, c’est un bon point de départ » raconte Jean-Christophe et il est vrai que même si ces personnages nous répugnent, nous finissons par nous y attacher. « on travaille aussi sur le rythme et pour ça Jean-Christophe est un comme un chef d’orchestre. Lui sait quand il faut s’arrêter ou ce qu’on doit garder, il a un vrai talent pour ça… » rajoute Anne-Elodie, « pour nous quand ça sonne « faux » c’est que c’est bon, c’est ça ! » continue-t-elle, c’est un travail aussi d’écoute, qui demande une véritable attention des uns et des autres que l’on ressent en effet très bien lorsqu’on voit leur spectacle. De même l’espace, le lieu de représentation est utilisé et peut être une matière d’inspiration pour ces créateurs. Lors de leur dernière forme, ils ont même utilisé les dates de représentation et leur sens. « L’épopée des dates » se jouera un 11 novembre ? Qu’à cela ne tienne, ils parleront de l’armistice. Puis le spectacle évolue avec les dates… « Je ne suis pas scénographe, mais j’utilise un maximum l’espace qui nous est donné. Comme Bansky ce grapheur qui crée selon l’endroit où il est, il a fait une Joconde-PacMan à Paris, et bien nous c’est pareil, on monte un projet sur le présent géographique et politique… ».

Du théâtre politique ?

Alors la question qui se pose pour moi immédiatement c’est leur rapport au politique et quelle est leur recherche, leur positionnement car il me semble que leur travail est plein de messages fondamentaux sur le « vivre ensemble ». « C’est peut-être du théâtre politique mais sans être didactique alors… » commence Anne-Elodie « On a créé notre premier spectacle avec rien, aujourd’hui on reste sur la pensée de départ et ça c’est politique. On ne va pas faire semblant d’avoir de l’argent, mais on continue à faire des spectacles comme avant, avec un acteur… une chaise… ce rien nous a façonné un esprit , une vision .... et l'on tient à être fidèle à cette origine. Il n’y a rien de plus politique que ça… de toute façon quand on essaye de placer sa pensée sur le monde c’est politique et puis au début on était très très en colère, tous, quand on s’est rencontré… ». Une manière de mettre en scène le quotidien que cela soit avec des personnages, ou avec sa matière d’acteur ou encore comme artiste, le discours sous-jacent, l’énergie et la manière de ces « Chiens de Navarre » est éminemment engagée. Jean-Christophe rajoute « Ca peut être vu comme une vision très noire, moi j’ai une volonté d’unisson mais dès qu’il y en a un qui s’exprime, il est rejeté. Mais dans la vraie vie, j’ai pas une vision si négative que ça… ! »

Nous finissons notre entretien sur le plaisir cathartique de dire « des insanités juste parce qu’on n’a pas le droit de les dire aujourd’hui » pour les comédiens comme pour les spectateurs, si soulageant dans une France où la liberté d’expression n’est pas si admise que cela. On le voit de plus en plus, là où un discours commun est de mise, les voix diverses ne s’entendent plus. « Mais on est comme ça, et dans la vie on est incapable d’être sérieux dans un dîner plus de 5 minutes !! Tout ça vient de la vie finalement… » s’exclame Anne-Elodie.

Voilà un collectif bien dynamique et dont l’ambition est aussi de faire venir au théâtre ce qui n’y vont pas (plus) et tel un miroir du vivant, faire ressortir des voix intérieures, des échanges humains tels que nous les vivons. A suivre donc absolument, pour se (re)faire un regard et une oreille, du théâtre contemporain et explosif comme on l’aime !

Prochaines dates : à Beaubourg en septembre 2010

http://www.chiensdenavarre.com/lapageacceuil.html

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