photo Sylvain Couzinet-Jacques
avec Thierry Raynaud
à la Ménagerie de Verre jusqu'au 18 juin
La sobriété délicate et toujours surprenante de la scénographie d'Hubert Colas, nous invite cette fois dans un espace noir, au milieu duquel trône une table, un micro et Thierry Raynaud face à une centaine de verre à shots. Plus tard lorsque nos yeux seront habitués à l'obscurité, nous devinerons son ombre blanche projetée dans le lointain. Inverse de l'ombre, la part blanche qui se révèle...
Thierry Raynaud va se livrer là, au fil des mots et des délires de l'auteur Rainald Goetz, à une véritable performance de comédien, que tout amoureux du théâtre se devrait de venir voir. Le texte tout d'abord qui semble être un enchevêtrement de pensées soliloques, qui se suivent malgré tout dans un discours presque auto adressé, de celui que l'on se tient dans certaines mises au point qui virent au bilan de vie et rejoignent la philosophie. Ce texte contemporain et mordant qui crie, qui râcle, qui tord les mains, qui souffre et rit aussi de soi...
Plus les mots sortent, plus l'acteur se vide de sa noire humeur plus il se remplit de ces verres qu'il ingurgite "too shuss" d'un coup comme on se tirerait une balle. Echo à Goetz qui est aussi un performer (il a notamment lu un de ses textes en se tailladant au rasoir en même temps). C'est une performance que d'avaler tout ce liquide, mot après mot, une idée, un verre, un cri, un verre, une terreur, un verre... Au mot près.
Goetz le Berlinois qui a cotoyé de près la folie puisque docteur en psychiatrie, semble nous livrer ici les ultimes instant d'un retour sur soi même avec au fond l'envie de trouver une raison de vivre, sans y arriver. La mort rode dans ce texte, la merde, la crasse, la vie de chien... Une dissection du cerveau n'est jamais loin, et la vérité de l'ivresse qui pousse aux pires constats et actes. Tout y passe, l'air de rien, l'oppression, la discipline, l'éveil, la musique, la lumière, le calcul, connaître le monde, le doute, la pensée, le mensonge, la vie, la mort, l'être, le désespoir. Cela pourrait être le discours contemporain d'Hamlet. Alors pourquoi ce micro ? Peut être le metteur en scène a voulu brouiller les pistes d'un discours qui serait entendu, et non répété pour soi.
Le rythme se fait, le noir, aussi, on est presque dans une chanson, une litanie, on attend incrédule, on remarque forcément les nuances de jeu de ce comédien hallucinant qui est capable de distinguer chaque mot, chaque intention. "On boit un coup ? Ca venge"... voilà un homme qui noie son désespoir dans l'alcool ou bien sa trop grande clairevoyance, ou juste sa fatigue... Il ne cherche même plus à refaire le monde, mais à voir s'il reste quelque chose qui pourrait l'y retenir. C'est infini ce que l'on pourrait tirer de ce texte et chacun sans doute y puisera ses propres grilles de lecture. Une mise en scène et un jeu étonnamment sobres et fins pour un sujet qui aurait pu ne pas l'être, une délicatesse et un ciselage de présentation.
Il faut aller voir ce travail remarquable à tous points de vue et suivre comme je le fais maintenant depuis quelques années, Thierry Raynaud et Hubert Colas qui me semblent incontournables dans la scène théâtrale contemporaine.
Et voici une très belle critique! bravo
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