avec Hubertus Biermann, Patrice Botella, Bénédicte Cerutti, Corinne Cicolari, Claude Degliame, Georges Edmont, Géraldine Martineau, Gilles Ostrowsky, Vimala Pons, Christophe Sauger, Eram Sobhani et Seb Martel
scénographie Pierre André Weitz
Ebouriffant !
Après le Cauchemar écrit et monté par Monsieur Rabeux la saison dernière, l'on conçoit aisément que ce dernier ainsi que ses comédiens fétiches, aient eu envie si ce n'est besoin, de rire et de burlesque. La pièce "12 nights or what you will" n'en est pas moins profonde, comme toujours chez Shakespeare, même dans la plus grande bouffonnerie, la gravité du propos demeure. Cela commence par un naufrage, ainsi va la vie n'est-ce pas ? où Viola et Sébastien deux jumeaux très attachés, croient en la mort de l'autre. Désespérée, Viola décide de se grimer en homme et entre au service du Duc Orsino en tant que page. Ce dernier très épris d'Olivia, demande à son page de lui servir d'intermédiaire. Olivia à son tour tombe amoureuse de ce page qu'elle prend pour un homme. Et comme un trio amoureux est encore plus savoureux, Viola devenue Cesario s'éprend de son maître le Duc. A côté de ce trio infernal qui souffre d'un amour sans retour, s'amusent et se déchire l'entourage : le fou, le sage, l'oncle et la dame de compagnie d'Olivia, ainsi qu'un prétendant d'Olivia, Sir Andrew un peu stupide.
Ce qui est ébouriffant, c'est que tout virevolte pour notre plus grand bonheur. Le texte bien entendu est savoureux dans son essence : l'amour et sa compagne la souffrance, la cocasserie des situations, l'ironie permanente de Shakespeare en miroir à l'ironie de la vie. Le talent de l'auteur, qui n'est plus à démontrer est ici sublimé par l'adaptation de Jean-Michel Rabeux qui a modernisé les paroles, les injures, les plaisanteries, les tournures de phrases parfois en anglais sont d'autant plus vivantes, et nous attrapent d'avantage dans les méandres voulues. Les comédiens sont tous justes et doués dans l'humour et la dérision de soi. Chacun dans son registre, chacun gardant sa couleur, sa touche, comme autant de masques donnés au propos de Shakespeare, les mille facettes de leurs costumes, les mille visages peints sur le décor, arlequins de théâtre. C'est la force d'un metteur en scène qui sait regrouper des talents divers et qui offre la liberté qu'il faut pour se réaliser à l'intérieur de sa création. Ainsi le virtuose Gilles Ostrowski excelle dans la bouffonnerie la plus pure, tandis qu'une Vimala Pons toujours d'une précision incroyable jongle avec la souffrance, l'ironie et la stupeur avec autant de nuances que Shakespeare en met dans le propos, Claude Degliame semble saoûle tout du long de la pièce aviné qu'est son personnage masculin, Eram Sobhani est un noir très convainquant qui crie à l'injustice du monde et de l'amour, Georges Edmont est fabuleux en folle-fou du roi, plus sage que fou, et le sage joué par Christophe Sauger semble plutôt fou sur talon haut qui esquisse une passe de basket pour les yeux de sa belle... Tout est à l'avenant, tous les personnages sont savoureux, de délicate drôlerie et de juste folie.
Tout ceci se joue aussi en musique, chacun se posant sur un petit escalier témoin lorsqu'il n'est pas sur le plateau, et s'empare éventuellement d'un instrument. La jolie voix de Corinne Cicolari, bien rock n'roll, ou bluesy retentit et tout le monde s'ébranle et chante en choeur, au rythme de la guitare de Seb Martel. Les chansons adoucissent les moeurs ou les enchaînent, bien d'aujourd'hui ou à peine d'hier, elles résonnent au corps et au coeur. Cela participe du virevoltage dans lequel nous sommes entraînés, carnaval déjanté, ou nuit des rois de la nuit, de la 12e nuit après la naissance du Christ ou tout est permis comme le souligne le sous-titre "what you will" !
Après l'alcool et le rock n'roll, bien sûr c'est l'éros qui est à l'honneur. Outre l'amour, dont il est pourvu, le sexe est présent dans cette pièce de part le travestissement de Viola, sublimé et encensé encore une fois par le metteur en scène qui propose d'autres échanges de sexes. Histoire de brouiller les cartes, les humeurs et les genres, parce que sinon tout est trop simple. Alors on s'embrasse à pleine bouche, on se travestit, on se touche, on se montre, on se séduit, ou pas. Des gros mots gras se font entendre, aussi bousculants qu'insérés, ils ne gênent pas plus l'oreille que celui qui serait offusqué par les travestis. Un peu provoquant, à peine, mais nous sommes plus du côté de l'érotisme doucereux, que de celui du shocking dear... Bref, les enfants peuvent y aller !
Et pendant ce temps le mur de tôle orange circule entre les mains des comédiens, comme s'ils poussaient leurs destins autant que les lieux, se cachant parfois ou au contraire attendant leur tour de jeu, comme un tour de manège dans lequel il nous faut monter au plus vite, fous que nous sommes. Bien sûr la pièce n'est pas que drôle, et le texte qui nous parvient parfaitement car il sait se faire entendre et se dire, est plein de sous parties et de sujets à réflexion, et autant de pauses dans le rire, nous permettent aussi de réfléchir. C'est le théâtre parfait de Shakespeare !
Voilà ce n'est pas une critique c'est un éloge, comme toujours avec moi pour ce metteur en scène qui décidément, a tout compris au cauchemar, mais aussi à Shakespeare, car il semble à mes yeux que nous y sommes enfin, main dans la main avec tout ce qu'il essayait de mettre en même temps dans ses pièces : la démesure dans les extrêmes mais maîtrisée afin que nous comprenions le propos, l'humour et l'ironie de la vie, la fête et la tentative d'oublier les douleurs, la mesquinerie des humains mais aussi leur incroyable capacité d'aimer à la folie, la sexualité toujours ambigüe, et l'espoir dans le désespoir. Du vrai Shakespeare, enfin...
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