vendredi 19 novembre 2010

Big Bang - Quesne

Mise en scène Philippe Quesne / Vivarium Studio
avec Isabelle Angotti, Rodolphe Auté, Yvan Clédat, Cyril Gomez-Mathieu, Jung-Ae Kim, Emilien Tessier, César Vayssié et Gaëtan Vourc'h
A Beaubourg du 3 au 7 novembre 2010

Dans un gigantesque cube blanc qui sert de plateau, une comédienne entre et s'assoit à une table. Dessus pêle mêle des livres, les lettres BANG, et autres... Elle feuillette un livre et chantonne... Voilà... Nous sommes une salle pleine de spectateurs suspendus à ses gestes, anodins, les bruits de pages qu'elle tourne. Tiens, nous respirons, nous prenons un peu de temps, nous attendons aussi, qu'il se passe "autre chose". Déjà des questions se bousculent et déjà je me sens happée par la situation. Puis elle repart en coulisse, demande aux autres s'ils sont prêts ? D'autres comédiens entrent, ajustent leur micro, regardent les livres... On se sent back stage, on a presque envie de leur dire "eh mais coucou ! nous sommes là !"... Et puis pourquoi d'abord ? Pourquoi ne pas se laisser emporter ? Pourquoi être pressé que quelque chose se produise ? Pourquoi toujours l'ivresse et l'accélération des choses qui nous empêchent d'en profiter ? Ca y est encore des questions...! Et puis ils repartent, derrière la bâche blanche.

A droite sur l'immense plateau blanc, il y a comme une montagne de plastique qui soudain se met à bouger. Un bout de banquise se détache et progresse... Une boule de poils brun apparaît à gauche du plateau et puis une autre et puis une autre... Plein de boules de poils blanches et brunes éparpillées... et puis une voix interroge "tout le monde est là ?"... Ca y est nous sommes dans l'univers absurde et poétique de Philippe Quesne. Une boule va donner des instructions et les autres les suivre et puis ça sera une autre boule qui aura une idée et qui la proposera et ainsi de suite. Comme lorsqu'on était enfant et que l'on jouait à "on dirait que".

Vont se succéder pendant une heure des jeux d'enfants, d'adultes, d'anges qui sait, créateurs du monde ? Chacun à tour de rôle a une idée et la propose aux autres qui l'accueille avec bienveillance. Tout est aussi absurde que l'imaginaire de chacun mais après tout notre monde n'est il pas aussi absurde ? Ne faisons nous pas du matin au soir que des choses qui n'ont pas vraiment de sens ? Un homme des cavernes créée un feu de bois avec une lampe et des branches, mélange de passé et de futur, une voiture cabossée en fond de plateau, sommes nous à la genèse du monde ou dans un temps post moderne à la mad max ? Tous nos repères sont bousculés et pourtant nous ne sommes pas perdus. Les humains parlent aux humains et chaque tableau est aussi insolite que drôle.

Ce qui émane de tous ces jeux en dehors des multiples questions et autres échos à nos sens et réflexions, c'est la gentillesse et la douceur des échanges. Chaque nouvelle idée de "jeu" est suivie par tous sans surprise et avec entrain. Tout le monde s'y met, une communauté de hippies peut être, ou le jugement de l'autre serait aboli. On dirait qu'il ne reste que les bons côtés de l'homme. Alors est-ce avant (la genèse, le Big Bang...) ou est-ce après (un monde post nucléaire...) mais toujours est il que nos sensations sont bercées de bien être à les regarder s'amuser ainsi en toute curiosité de l'autre.

La scène finale la bâche retirée laisse lieu à une grande mare d'eau sur laquelle seront empilés des dizaines de bateaux, les personnages en combinaisons de martiens... Sont ils prêts à venir nous envahir ? Sont ils nos ancêtres mais alors, qu'est ce qui a merdé ensuite ? Pourquoi la haine et le rejet sont arrivés ensuite ? Ou bien sont ils l'avenir ? Je préfère cette seconde option et suis sortie de ce merveilleux Big Bang des images de douceur et de rêve plein la tête.

Il fallait un Philippe Quesne dans le paysage du spectacle vivant, un marionnettiste d'humain, un peintre du vivant, un plasticien de comédiens, qui privilégie l'image au verbe, sorte de langage international compréhensible par tous, comme le geste d'amour n'est ce pas ?
A suivre...
photo Christophe Raynaud de Lage

dimanche 14 novembre 2010

Bérénice - Racine - Gwenaël Morin


De Racine mise en scène par Gwenaël Morin
avec Julian Eggerickx, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon et Ulysse Pujo
au théâtre de la Bastille jusqu'au 27 novembre 2010

Décidément Gwenaël Morin se situe dans le didactisme et l'enseignement. Son théâtre cherche à réconcilier tout le monde, le texte classique avec ceux qui l'ont aimé puis mis de côté ou encore, ceux qui ne l'ont pas aimé ou enfin ceux qui détestent le théâtre à cause du texte classique (ou qui le détesteront bientôt je pense aux scolaires). On sent dès le début, l'accueil du metteur en scène fait aux spectateurs, une envie de séduire pour ne pas de dire de se mettre les spectateurs dans la poche. Le décor est encore fait de bric et de broc, ambiance "le théâtre c'est facilement mis en place...", et une grande bâche résume par un fléchage grossier, les sentiments et directions des personnages.


Cela continue par une gestuelle très explicative, si Gwenaël Morin était sur le net, ses pièces comporteraient des pop up pour apporter des précisions en cours de jeu, ou des petites bulles pour que l'on soit bien sur de comprendre les intentions. Cette prise en charge totale du spectateur l'empêche un peu de penser en rond à mon sens, mais ne sommes nous pas à l'école ? Ah non ? Pardon... j'oubliais. Cela fait penser aussi au théâtre du Moyen Age ou les bouffons faisaient des apartés au public pour lui expliquer les scènes... Sinon la lumière reste allumée tout le temps, on se croirait en répétition ambiance "le théâtre est proche de nous..." et malgré toute cette scolarité, le texte (qui nous parvient parfaitement et heureusement parce que tout s'y emploie) est remanié par le metteur en scène, modernisé (liaisons, vers coupés, texte coupé...). Donc on cherche à s'approprier tout cela, les comédiens (excellents) sont très dans la psychologie mais à dessein, en adresse publique parfois, pour que Racine soit enfin compris et apprécié ? Sans doute, tous ces efforts y font penser en tous cas.

A un moment il y a une petite rupture un peu délirante en chanson, et là je me suis posé la question de savoir si on essayait pas de m'acheter ma sympathie ?
Et du coup, me suis aussi demandé si nous n'étions pas dans l'extrême de l'ironie. Le texte est central, et l'envie de faire aimer Racine ne nous quitte pas, mais ces larmes et ses courses effrénées rompues par des chansons décalées et une cymbale retentissant à chaque fois que Hélàs est prononcé (tout le temps...) servent elles le texte ou bien s'en moquent-elles finalement ?

Quelques questions restent posées mais ce qui est certain c'est que malgré toutes ces interrogations et cette volonté énorme d'apprivoiser le théâtre classique, nous passons un très bon moment, nous entendons le texte, nous recevons l'émotion, nous rions, nous sommes émus. Les comédiens sont en plus vraiment très bons et totalement investis. Alors un peu comme un spectacle dont nous serions aussi en coulisses, je conseille quand même cette tentative réussie de dépoussiérer Racine et de lui rendre son aspect populaire qui lui a si souvent manqué.

lundi 8 novembre 2010

C'est comme ça et me faites pas chier - Garcia

photo Christian Berthelot

texte et mise en scène Rodrigo Garcia
traduction française Christilla Vasserot
musique Daniel Romero Calderon
avec Melchior Derouet, Nuria Lloansi et Daniel Romero Calderon
du 5 au 14 novembre au théâtre de Gennevilliers

Le public entoure la scène, disposé en U tout autour et au fond, un écran géant est installé. Sur le plateau des dizaines de cymbales et percussions sont réparties un peu partout, une moquette de gazon dans un coin, un fauteuil appuyé sur une montagne de livres... On reconnaît l'espace parsemé d'objets de Rodrigo Garcia. Un jeune homme d'une blondeur platine embrasse presque en souffle une jeune femme, assis sur un fauteuil posé sur les livres. Puis il commence un monologue intérieur, qui pourrait être des pages d'un journal intime ou des réflexions personnelles sur ce qui l'inspire ou au contraire le dés-inspire. Désabusé légèrement cynique, on n'est pas dépaysé du style Garcia, et son regard acerbe sur notre monde d'aujourd'hui.

"faire confiance aux mots et jamais à ce qui s'agite autour..."

Des déambulations imaginaires sur la littérature, tout en étant assis sur des livres, dans un premier temps et notre personnage blond angélique semble être un avatar de l'auteur... et puis l'on comprend que le narrateur est aveugle. Quel regard porte un aveugle sur le monde ? Un regard noir...

"Explique moi pourquoi tu te sens heureux ? Sans la question sur le bonheur, le bonheur n'est rien..."

Au fil de ses réflexions qui font parfois écho à nos propres moments sombres, on se laisse bercer et l'on suit les jeux étranges de la jeune femme, comme écho à son tour de ses pensées. Elle marche avec des cymbales aux pieds, joue avec des petits jouets automatiques, mange le t-shirt du jeune homme, ou encore se transforme en chenille en enfilant un sac de couchage recouvert de grelots.

"Froid c'est mieux que chaud, plaisir c'est mieux que vérité... " s'égraine une liste de "mieux" comme celles que l'on faisait enfant, entre rêverie de perfection et envie de devenir. Ce Petit Prince qui aurait grandi et serait devenu non voyant, se lève et circule hésitant dans le décor comme nous finalement dans la vie, dans un monde dont nous n'avons qu'une partie des codes.

La jeune femme filme parfois ses jeux qui sont projetés sur le grand écran, parabole de ce monde tout en décalé avec le réel, sans cesse soumis à l'image. Et puis elle se défoule tant bien que mal en se jetant sur les livres, comme s'ils ne servaient à rien au final, ou en tapant sur les cymbales, écho aux bruits du monde.

"Pour connaître de combien de sens avons nous besoin ?"

Et si on voyait aussi bien quand on ne voit pas ? Le texte est d'une grande richesse et l'on ne peut tout saisir, notre attention détournée sans cesse par le musicien ou la jeune femme, des morceaux d'idées et de paroles nous viennent et nous recomposons cet étrange tableau avec nos sensations et nos images. Et elles sont multiples les images à tiroirs chez Garcia, comme la dernière avec la jeune femme allongée au bord de la mer, une plage de sable et une eau de détergent, récréées sur le plateau. Tout est donc construit de toutes pièces dans cet univers que nous ne percevons que par bribes ? Et le grand blond hésitant se rappelle d'un temps où il voyait et où il s'était perdu dans une fresque de Masaccio représentant l'Eden, et comme avec ses yeux d'enfant pour lui le Paradis c'était le désert. Retour au Petit Prince ?

Il faudrait voir et revoir cet étrange objet de Garcia, qui a un titre bien plus agressif que son contenu pour une fois, sans être assuré pourtant d'en saisir tous les mystères, les allusions et les chemins quasi philosophiques empruntés par ces personnages dont l'âme d'enfant aurait grandi trop vite.

"Rêver c'est mieux"...

mercredi 3 novembre 2010

TG Stan - Le Tangible


Assemblage de textes, mixage musique live par Frank Vercruyssen
(textes de Etel Adnan, Mourid Barghouti, John Berger, Mahmoud Darwish et Samih al-Qasim)
mise en scène collective
avec Eve Chems de Brouwer, Mokhallad Rasem, Boutaina Elfekkak, Liz Kinoshita et Federica Porello
et la participation de Tale Dolven et Eid Aziz
au théâtre de la Bastille jusqu'au 14 novembre

C'était mon premier spectacle du TG Stan dont j'ai toujours entendu énormément de bien. Des conceptions collectives, un souci de la mixité, du mélange des genres, un énorme travail en amont et beaucoup de participants. Tout ceci donnait envie grandement.
On retrouve tous ces éléments alléchants dans cette dernière production, mais un singulier sentiment d'inachevé et de confusion en ressort.
Trois danseuses alterneront leurs expressions corporelles avec la récitation de lettres échangées par un couple : un homme et une femme arabes sé
parés par la prison. La femme s'exprime le plus souvent en français et l'homme en arabe, les surtitres traduisent les deux langues sur un écran géant en fond de plateau, qui diffusent aussi des photos (magnifiques) de villes dévastées par la guerre.
La beauté des langues mélangées et les lettres qui sont touchantes, interprétées par des comédiens naturels comme je les aime, et vraiment investis, ne me suffisent pas et rapidement je me sens déroutée par les interprétations chorégraphiques des danseuses que je n'arrive pas à relier au reste.
Au final je me sens partagée par de beaux moments et un sentiment qu'il y a beaucoup de recherches pour arriver à cette présentation (le livret donné à l'entrée est impressionnant) et l'impression de ne pas avoir reçu tout ce qui a voulu être partagé. Peut être le résultat de trop d'éléments mis ensemble et ne faisant pas forcément lien, ou une proposition si riche qu'elle en devient obscure ? C'est un peu dommage car cela m'a tenue à distance alors que l'idée était très belle et que les sujets de la guerre et du moyen orient, doivent à mon sens être d'avantage traités au théâtre comme ailleurs.

Photo Lore Baeten