jeudi 24 mai 2012

Les Quatre Jumelles - Copi - Rabeux

texte de Copi, mis en scène par Jean-Michel Rabeux
avec Claude Degliame, Georges Edmont, Marc Mérigot et Christophe Sauger
Scénographie, costume et maquillages Pierre-André Weitz
jusqu'au 23 juin au théâtre de la Bastille

Cela commence dans une arène construite pour cette mise en scène, les spectateur encerclant une petite scène constituée d'une boule de lumière et d'un socle géant. En sortent, telles des vers luisants tapis à la sortie de la lune, deux jumelles de blanc vêtues. Tout de suite elles veulent se droguer pour sûr, ce sont des travestis, pour sûr, elles sont hystériques et meurtrières ou suicidaires, on ne sait plus, pour sûr, nous sommes dans Copi jusqu'au cou. Bientôt rejointes par deux autres jumelles, identiquement vêtues, toutes prêtes à se droguer, à s'entre-tuer, à voler de l'argent, à mourir dignement et surtout à s'insulter copieusement... 

La scène en rond, comme le texte tourne en rond, la situation inextricable, sont-elles quatre vraiment ou une seule ? Elles se tuent vraiment, et ressuscitent, elles se droguent vraiment, et veulent mourir pour de bon... Est-ce un jeu ? Rapidement, bien sûr tout devient oppressant et répétitif, comme un reflet des effets de la drogue et de la solitude. Aujourd'hui faut-il rappeler qui était ce génie de Copi, Argentin exilé en France, homosexuel, drogué, fuyant les fascistes de son pays, mourant du sida dans les années 80, peu monté encore car tellement déjanté et borderline, qu'il fait souvent peur ? Bien sûr Jean-Michel Rabeux qui l'a connu, est le metteur en scène voué à le jouer sans trop le trahir, tant ils partagent le baroque et le goût pour la douce provocation. 

Le public est perplexe, certains rient aux éclats, d'autres se regardent consternés, quelques uns sortent une fois qu'ils réalisent qu'il ne se passera rien "de plus" que cette folie amère qui tourne et triture les méninges. Copi met mal à l'aise forcément, il appuie là où ça fait mal, avec fracas, et rire démoniaque. On passe une heure affriolante, au rythme des meurtres et des cris, les comédiens sont parfaits, leurs rôles semblent avoir été cousus sur mesure, comme leurs costumes. C'est justement ce qui a fini par m'ennuyer, aucune surprise finalement, du grand Copi, du bon Rabeux comme on l'attendait, travesti et maquillage, sans contre pied, sans ironie, où la répétition passe un peu à coté du comique. J'aurais peut-être rêvé quelque chose de jamais vu, un Copi sans paillettes, plus sobre, pour tenter l'expérience audacieuse d'y entendre son texte autrement.

Spectacle à voir bien sûr, pour le talent de tous ces protagonistes, et le plaisir du théâtre du corps et du sang.

Claude Degliame / Christophe Sauger

lundi 21 mai 2012

Temps - Mouawad

Texte et mise en scène Wajdi Mouawad
avec Marie-Josée Bastien, Jean-Jacqui Boutet, Véronique Côté, Gérald Gagnon, Linda Laplante, Anne-Marie Olivier, Valeriy Pankov, Isabelle Roy
Théâtre de Chaillot jusqu'au 25 mai 2012

Difficile de se prononcer sur ce dernier opus du très talentueux Wajdi Mouawad. A priori j'aime beaucoup son travail, j'ai adoré la trilogie "Incendies, Forêt, Littoral", et beaucoup aimé "Ciels"... Nous sommes ici toujours dans la grande épopée familiale, dans les secrets qui se révèlent au fur et à mesure, les drames de chacun qui deviennent les troubles de tous, par les liens qui les unissent... Nous avons encore au menu la tragédie tragédienne, la noirceur de l'âme humaine, ses contradictions, ses amours absolues... 

Noëlla de la Forge, muette suite à l'immolation de sa mère, provoquée par la révélation de l'inceste entre le père et l'enfant, décide de convoquer ses frères, afin de statuer sur l'héritage, le père étant mourant. Le décor est planté, nous sommes en pleine sinistrose, les ingrédients Mouawadiens cités plus hauts sont tous regroupés, sans presque de surprise. Les comédiens sont bons, la scénographie efficace. Le rythme en revanche est à la fois oppressant et un peu lent parfois. Noëlla étant muette, elle est traduite par une interprète en langage des signes, et l'un des frères est russe, traduit par son amie. Il y a du coup parfois deux traductions à la suite ce qui ralenti les échanges. Certaines fois cela tombe bien, car un rythme étrange s'installe, un suspens, un temps mort, et d'autres c'est pesant. 

photo Yann Doublet

Je passe sur l'histoire qui est ce qu'elle est, pour le coup elle ne m'a pas passionnée. Le point primordial je pense de cette pièce, c'est le traitement de l'inceste et de la folie du père. Sur cela je suis mitigée. 

D'un côté j'ai trouvé l'auteur efficace, ne laissant aucun répit au spectateur, ne lui épargnant aucun détail, aucune abomination, tout en maintenant un aspect de pitié sur ce père malade... Le jeu psychologique est assez fort et l'ambivalence que l'on peut ressentir, nous manipule au bon sens du terme. La musique de Bertrand Cantat nous met mal à l'aise juste ce qu'il faut sur le sentiment de juger un monstre ou de voir le fou artiste créateur dans son art (le père incestueux est un poète génial). Nous avons matière à réflexion, et des scènes poignantes. 

D'un autre côté, j'ai vraiment été choquée, comme je peux l'être par Lars Von Triers parfois, par l'acharnement dans le malheur, dans la provocation, dans le jusqu'auboutisme du sinistre. Même si Mouawad nous offre une fin salvatrice, je ne suis pas sûre que les masturbations du père étaient indispensables. Je crois que j'aurais voulu un peu plus de pudeur, et de subtilité, mais ce voeu pieu ne s'associe pas vraiment au style et au but que poursuit l'auteur il me semble, dans cette pièce. Aussi je reste assez partagée, je crains que Mouawad n'aille trop loin, ou ne devienne une parodie de lui-même, à force d'enfoncer un clou déjà bien entamé, dans le portrait parfois atroce des âmes. Je le préfère optimiste et créateur comme dans "Ciels".