lundi 17 janvier 2011

L'avenir, seulement - Bertholet

Texte et mise en scène Mathieu Bertholet
avec Fréderic Baron, Léonard Bertholet, Valentin de Carbonnières, Blandine Costaz, Baptiste Coustenoble, Thibaut Evrard, Roberto Garieri, Fred Jacot-Guillarmod, Nissa Kashani, Nora Steinig et Catherine Travelletti.
Scénographie Sylvie Kleiber
Au théâtre de Gennevilliers du 13 au 29 janvier 2011

Rosa Luxembourg et un garde entrent sur le demi plateau du théâtre et échangent quelques mots sur sa captivité. Puis le garde sort et le plateau s'ouvre sur l'immensité d'un plateau complet, et dans une brume opaque, apparaissent tous les comédiens à de petites tables éclairées à cour pour nous, mais tout au fond une autre rangée de spectateurs apparaît en miroir de la notre. L'espace est ainsi totalement troublé et troublant. On réalise rapidement que tous les personnages sont incarnés à tour de rôles, que personne n'est quelqu'un en particulier, que tout le monde peut être tout le monde. Le texte découpé en tranches numérotées (488 au total et chaque comédien en connaît 150) n'est pas énoncé chronologiquement et l'on retrouve des moments de la vie de Rosa Luxembourg, en détention, chez des amis, libérée, avant sa mort, avant sa détention... Chaque comédien annonce le numéro de la séquence qui va être dite et parfois l'enchaîne, ou la souffle à un autre comédien. Pendant ce temps tous arpentent l'immense plateau d'un bout à l'autre en continu, montent les escaliers entre les spectateurs et redescendent pour re circuler.

Photo Marc Domage

Dans ce bouillonnement, les comédiens sortent parfois de la déambulation pour aller consulter les fiches sur les tables, ou échanger deux mots avec le metteur en scène qui est présent tout du long. Ils changent aussi de costumes, ou vont entrer en gestes sur le chemin. Peu à peu le texte, la parole laissent place à la danse, aux mouvements. Le propos se perd, mais il n'est pas central. Tout est déconstruit dans ce travail assez jubilatoire de Mathieu Bertholet. L'on ne peut s'accrocher à rien et l'on ne peut qu'accepter de se laisser emporter. Ou pas, car certains spectateurs sortent, ce qui peut être l'apanage des très bons spectacles. Cette tentative de perdition des sens et des repères, les comédiens très en distanciation, le texte découpé, soufflé, parfois pas entendu, parfois répété en écho grâce à des micros, réussit à nous rapprocher de l'expérience sensorielle et nous oblige à nous dégager du sens des mots. En cela le travail est vraiment réussi et nous nous laissons porter par les gestes et les sensations. Cela m'a paru un peu Brechtien sur quelques aspects, la perte de notion de personnage et d'illusion théâtrale, le désir de nous laisser nous approprier le message en sortant du psychologique, l'aspect épique même si l'on est sorti de la narration pure.

Photo Marc Domage

Se pose ici aussi la question de la liberté de l'acteur à qui l'on laisse le soin de choisir les passages qu'il joue. Dans un terrain qui semble infini de possibilités dans lequel nous essayons de nous glisser, tout semble malgré tout avoir été hautement préparé, chorégraphié, beaucoup de travail en amont sur les textes, rien n'est vraiment laissé au hasard et c'est cette grande maîtrise qui rend ce marathon possible. Nous ne sommes pas forcément habitués à ce genre de liberté là, qui nous en donne aussi, un peu comme chez Régy où le spectateur ne peut pas être passif. Dans ce tourbillon on a presque envie de les rejoindre, d'aller danser notre révolte avec eux, de prendre des bouts de textes et de les dire et de les vivre et de les vibrer... C'est une véritable invitation dans le dynamisme politique et dans l'adversité que l'on ressent. Je regrette juste cette dilution du texte qui s'opère au fur et à mesure car il me semblait assez fort et face à la profusion des propositions, il est vrai qu'on a des difficultés à le suivre. Or la beauté du combat de Rosa Luxembourg et de ses proches est vraiment encore "entendable" aujourd'hui comme disait Lew (par Mathieu Bertholet) "nos histoires personnelles ? Dans un tel moment de l'histoire...?!" L'expérience finit par se centrer un peu sur elle-même et perdre les idées transportées par le texte.

Une expérience théâtrale très intense s'il en est, à aller découvrir dans ce lieu de toutes les audaces, qu'est le théâtre de Gennevilliers.

samedi 15 janvier 2011

Les traducteurs - Conférence Régy - Boyer


Claude Régy - Régis Boyer

En cet après-midi ensoleillé, les gens se ruent et dévalisent le magasin d'écrans plats qui se trouve face à la Ménagerie de Verre, soldes obligent. Et pendant ce temps, nous nous délectons d'une petite conférence organisée par la Mel (Maison des écrivains et de la littérature) avec Claude Régy qui met en scène ces jours-ci Brume de Dieu, des extraits des Oiseaux de Tarjei Vesaas, traduit du néo norvégien par Régis Boyer. Et nous buvons les paroles passionnantes de ces deux hommes qui se rencontrent pour la première fois et qui partagent le même amour des mots, de la littérature et de tout ce qui se trouve au-delà.

Tout d'abord un peu d'histoire et je ne résiste pas à vous faire partager ce que j'ai appris : la Norvège a connu un âge d'or au XIIe siècle et fut ensuite colonisée jusqu'à la fin du XIXe quand même, par le Danemark. De ce fait la langue norvégienne a quasiment disparu, pour laisser la place à une langue issue d'un mélange danois et ancien-norvégien. Il reste des vestiges de la langue norvégienne d'origine dans l'islandais. Au début du siècle dernier à la libération de la Norvège, il fut tenté de retrouver cette langue et est née une sorte de néo-norvégien, issus de l'association de plusieurs dialectes et d'étude de l'islandais. Tarjei Vesaas a choisi d'écrire dans cette langue ainsi (re)créée. On retrouve donc dans la langue, mais aussi dans la pensée qui l'accompagne, la crainte, ou l'assurance, d'être incompris.

Claude Régy parsème l'histoire et les explications si intéressantes de Régis Boyer de son désir aujourd'hui de travailler en "s'éloignant du théâtre" pour se rapprocher encore plus du texte et de travailler à faire entendre ce qui est "en deçà du langage mais aussi au delà". Et il cite Nathalie Sarraute qui parlait de la création littéraire comme une tentative de faire éclore pour les autres "des parcelles de réalité inconnue". C'est ce qui se trouve en dehors des mots, un langage codé d'entre les lignes qu'il essaye de faire ressortir avec le comédien. Et Régis Boyer de rebondir sur la culture scandinave si éloignée de la notre finalement. Il nous explique que les norvégiens particulièrement sont capables de rester totalement silencieux, même s'ils vous ont invité à dîner. Il y a comme une pensée qui existe en dehors de la parole mais se pose alors la question "à qui on parle quand on pense ?", comme l'on peut dire "à qui l'on parle quand on écrit ?". Autant de questions soulevées malicieusement et dont les réponses énigmatiques satisfont totalement les deux intervenants.

Régis Boyer de continuer sur la culture de ces pays du nord, comme leur rapport très important avec la nature, et le fait qu'ils ne sont pas très à l'aise dans l'abstrait. Mais dans cette connexion à la nature il y a quand même une grande part accordée justement à tout ce qui est "caché derrière". Mathis le héros des Oiseaux de Tarjei Vesaas est considéré comme légèrement attardé mental mais en fait il est d'autant plus en lien avec ce qui l'entoure, lui qui peut lire les "hiéroglyphes" laissés par les pas des bécasses dans la boue. Enfin Régis Boyer nous parle de la lumière, celle qui laisse le jour durer pendant des nuits, qui abolit le temps et les distances et qui place forcément dans un autre rapport au réel. Un peuple peu atteint par le christianisme mais plus proche des origines païennes du culte de Gaia, qui considère la mort comme un changement d'état, ni plus ni moins. Alors cela donne une littérature plein de recoins à découvrir, de contemplation et de secrets, qu'il est bon de s'approprier, d'humain à humain. Claude Régy conclura en expliquant le titre qu'il a donné à ces extraits Brume de Dieu, comme étant une recherche de clarté au delà du brouillard...

Merci à eux et à la Mel pour ce très bon moment plein de paillettes de neige dans les yeux...



vendredi 7 janvier 2011

La Conférence - Pellet - Nordey

photo Giovanni Cittadini Cesi

La Conférence de Christophe Pellet,
Mise en scène et jeu Stanislas Nordey
Scénographie Emmanuel Clolus
Théâtre du Rond Point du 4 au 30 janvier 2011

Que l'on sort perplexe d'un tel exercice... D'un côté un texte acerbe et noir, rejetant avec effroi et horreur ce que l'auteur nomme "l'esprit français" et "les entreprises culturelles françaises", coupables de tous les maux artistiques et de toutes les restrictions humaines qu'il soit, avec les défauts d'un "circuit" dans lequel il faut être, et l'aspect immuable et jusqu'à ne plus être capable de regard qualitatif sur les choses ; et d'un autre un comédien metteur en scène ancien directeur de théâtre national, qui réussit dans ce "milieu" et fait sans doute partie d'une forme d'intelligentsia théâtrale même s'il a beaucoup été critiqué. Tout ceci joué dans un théâtre qui se voudrait populaire, mais qui est quand même dirigé par un personnage haut en couleur en ce qui concerne la renommée et le copinage.

Alors quoi ? N'ont-ils pas droit eux aussi de critiquer cet esprit restreint et corporatiste qui nous caractérise tant en France et qui nous rend si difficiles à l'innovation et à l'émergence des talents, et qui de ce fait favorise encore plus l'envie de s'accrocher au petit fauteuil que l'on réussit un jour à attraper ? Le public du théâtre du Rond Point à grande partie bourgeoisie vieillissante et initiés parisiens ne serait-il pas prompt à entendre tel message ? Oui mais alors quel message ? Les pistes sont ici un peu brouillées. Pourquoi pas, cela peut porter à réflexion et c'est déjà utile. Mais je m'interroge malgré tout... Le discours semble tomber un peu à plat même s'il est assené car le texte est très peu ironique et peu drôle. C'est un vrai regard désespéré de quelqu'un qui est allé au bout puisqu'il vit aujourd'hui à Berlin. Ville où bon nombre d'artistes français émigrent par lassitude de tout ce qui est honnis ainsi dans le texte. Mais cela manque un peu de précisions. Finalement tout est quasi sous entendu et l'on ne sait plus vraiment de quoi on parle, à part que nous sommes tous sensés très bien comprendre puisque nous sommes plus ou moins des intellos français dans le public ? Malgré tout je trouve que dénoncer quelque chose c'est aussi le décrire un peu, histoire de regarder l'objet et d'avoir des idées éventuellement pour y réagir.

C'est un texte à la croisée des chemins, par quelqu'un qui est à la croisée des chemins, joué par un comédien à la croisée des chemins et finalement à force de croiser les chemins on finit par perdre un peu sa route. Une belle performance d'acteur néanmoins par un Stanislas Nordey qui fait bien de revenir sur le plateau. En espérant que cela donnera quand même à penser, d'essayer de dire les choses telles qu'elles sont, ce texte est plein de vérités amères.

lundi 3 janvier 2011

Brume de Dieu - Vesaas - Régy


d'après Les Oiseaux de Tarjei Vesaas,
mise en scène Claude Régy
avec Laurent Cazanave
à la Ménagerie de Verre du 13 décembre 2010 au 29 janvier 2011

On rentre dans une telle pénombre que les ouvreuses chuchotent inspirées par l'ambiance tamisée. On distingue un plateau noir brillant, et l'on est enfin plongé dans un noir total au début du spectacle. Et puis il entre. Fait quelques pas, le temps s'allonge, on est bien dans un spectacle de Claude Régy. Il traverse le plateau, une lumière très douce s'élève, on le distingue, un dispositif ingénieux nous cache l'origine des faisceaux qui éclairent. Des couleurs rosées, orangées, se reflètent sur les parois restées blanches du bord de scène. On peut écouter notre propre respiration et se prendre à rêver. Se poser un peu... quelques sons s'élèvent aussi, comme un velouté, une ambiance un peu inquiétante.

Et puis ce jeune homme doux qui déambulait se trouve devant nous et il parle. Sa voix est immédiatement étrange, son élocution particulière. Entre chant et décortication des mots, rien de commun en tout cas, il pose chaque syllabe et nous invite ainsi à entrer dans une sorte de balancement délicat des phrases. Il raconte, Mattis et sa soeur Hege, qui vivent au bord du lac. Mattis que l'on comprend "différent", un peu ralenti peut être, un peu rêveur, qui part à la pêche dans une barque qui prend l'eau. Le ton est parfois espiègle, parfois tellement étrange que l'on sent la particularité du personnage. Et la lenteur de l'élocution donne à penser. Nos pensées, car c'est cela la magie de Régy, c'est que l'on s'approprie l'espace et le temps. Tout est ici prétexte à notre propre investigation. Ceci est support à notre imagination, miroir de nos émotions, élasticité des tensions sur lesquelles rebondissent nos soupirs.

Alors pas à pas on suit les aventures de Mattis, suspendu au souffle du comédien, à ses yeux fixes et à ses pas mesurés. Lorsqu'il est au bord du plateau, les pieds à demi dans le vide, les mains en l'air mimant son désespoir soudain, nous sommes nous-mêmes au bord du gouffre. Claude Régy s'adresse directement à notre inconscient et c'est en cela sa force, c'est aussi ce qui dérange tant et qui provoque ces impatiences. Pas évident de se voir ainsi, même si rien ne parle de nous dans le texte, tout parle de nous dans tout. La parole qui ne ressemble à rien, les gestes qui ne ressemblent à rien, tout frôle l'abstrait, la poésie ultime, le non sens qui fait le plus sens, notre inspiration profonde.

Merci monsieur Régy d'être dans les plus contemporains et les plus modernes des metteurs en scènes, d'être de ceux qui continuent à chaque spectacle à prendre autant de risques pour essayer de s'approcher du sublime, à force de polir la pierre avec patience et exigence. Quelle respiration dans ce monde qui court à sa perte à force de s'étourdir de facilités...

A voir et à revoir à la Ménagerie encore jusqu'au 29 janvier 2011...

photo Brigitte Enguerand